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66th IFLA Council and General
Conference

Jerusalem, Israel, 13-18 August

 
 


Code Number: 107-152-F
Division Number: III
Professional Group: Libraries for Children and Young Adults
Joint Meeting with:
Meeting Number: 152
Simultaneous Interpretation: No

L'héritage juif dans la littérature pour la jeunesse russe

Olga Maeots
Russie


Paper

Quand on m'a demandé de parler de l'héritage juif dans la littérature pour la jeunesse russe, j'ai d'abord été surprise et n'ai su quoi répondre. De fait, un grand nombre d'écrivains pour la jeunesse russes sont juifs : Samuel Marshak - un des fondateur de la littérature moderne pour la jeunesse russe, un homme qui a eu une influence profonde sur son développement et a permis l'émergence de plusieurs générations d'écrivains ; des poètes extraordinaires - Jakov Akhim, Genrich Sapgir, Viktor Lunin, Junna Moritz ; des écrivains connus -Viktor Dragunsky, Anatoly Aleksin - les nommer tous prendrait trop de temps. Notre littérature est, par tradition, multinationale, des écrivains de dizaines de nationalités différentes ont contribué à sa création - Arméniens, Biélorusses, Kalmyks, Ukrainiens. Ils ont assimilé et développé la tradition de la littérature classique russe, mais ils ont également apporté leur propre inspiration nationale. Un cadeau précieux ! Aussi je ne chercherai pas à distinguer les différents motifs nationaux de l'orientation générale.

Tentons une approche différente. Comme on dit, la langue est la mère patrie de l'écrivain. La langue est le " diamant " magique de chaque littérature nationale. On sait que parallèlement à une grande littérature russe, il y a eu et il y a des littératures dans les langues nationales dont une littérature d'origine juive.

Que sait-on de la littérature juive pour la jeunesse en Russie ? Hélas ! Il semble qu'il n'existe pratiquement rien sur le sujet. Les ouvrages de référence fournissent des indications souvent contradictoires, les encyclopédies ne donnent qu'une courte liste de noms et les bibliographies ne signalent que des articles des années 20 ou 30. Et après ?

J'ai été aussi quelque peu embarrassée pour traiter ce sujet, car je ne suis pas juive. De ce fait, je n'ai pas l'expérience ni les connaissances que d'autres reçoivent de leurs parents. Cependant en Russie, nous disons qu'il y a un juif qui veille dans presque chaque intellectuel : avec le temps, tout s'est mêlé et mélangé dans nos culture, nos vies, nos esprits.

J'ai demandé de l'aide à mes amis - bibliothécaires, écrivains pour la jeunesse et critiques littéraires. Comme un véritable détective, j'ai recherché des indices. Je voulais entrer en contact avec des gens qui avaient été élevés avec cette littérature. Rapidement, j'ai obtenu des numéros de téléphone utiles et commencé mon enquête.

- Ma chère, c'était de la grande littérature ! hurla dans le téléphone Sonja Chernjak, éditeur à la retraite de " Sovietish heymland ", un magazine qui paraissait en yiddish du temps de l'Union soviétique. - les Juifs ont toujours entretenu leurs traditions et cela nous a sauvés. Nous sommes un peuple très ancien, et ceux qui sont entrés dans l'histoire avec nous - les Egyptiens, les Sumériens, les Romains - où sont-ils ? Seuls les juifs ont survécu parce qu'ils conservé leurs traditions. C'est dommage que vous ne m'ayez pas appelé plus tôt, vous devriez appeler ... mais maintenant certains sont morts, d'autres ont émigré, il ne reste plus personne ...

" Il ne reste plus personne ... " - ce triste refrain est revenu à chaque conversation. J'ai commencé à me sentir comme une exploratrice à la recherche d'un continent mystérieux, comme l'Atlantide, célèbre pour son passé, mais malheureusement seulement présent dans les légendes.

Il est impossible que rien ne survive ! me répétais-je.

Cholem Aleichem, Lev Kvitko, Ovsei Driz - pour qui écrivaient-ils ? Qui étaient leurs lecteurs ?

Les épais volumes sur l'histoire culturelle des Juifs avançaient plusieurs hypothèses contradictoires, dont une bonne part n'était corroborée par aucun témoignage. Mais petit à petit, une merveilleuse mélodie commença à se dégager de ce chaos d'informations - une mélodie juive. J'avais trouvé ce que je cherchai ! Enfin !

Et maintenant, laissez-moi partager avec vous mes modestes trouvailles.

Commençons par quelques jalons de l'histoire des Juifs de Russie.

Les Juifs vivent en Russie depuis plusieurs siècles. Ils ont toujours été considérés comme des étrangers et ont toujours été persécutés en raison de leur confession. Leurs droits ont toujours été limités. Pendant des siècles, la " dénationalisation " et l'assimilation ont été les deux points forts de la politique tsariste envers les minorités nationales. Le " problème juif " s'accrut au 19ème siècle quand le nombre des Juifs augmenta considérablement en Russie après l'annexion des territoires polonais.

C'est à cette époque que de nouvelles lois discriminatoires, obligeant les Juifs à ne s'installer que dans un nombre limité de territoires, où ils étaient assignés à résidence, furent établies. Seuls quelques Juifs réussissaient à obtenir le droit de vivre dans les grandes villes et de choisir une profession " noble " - médecin, avocat, industriel, commerçant - Le droit pour les enfants juifs d'étudier dans les écoles russes était limité à un tout petit nombre - fixé par numerus clausus. Samuel Marshak raconte dans ses mémoires, qu'à l'âge de dix ans, on lui a refusé l'entrée au collège, bien qu'il ait réussi tous les examens. La population juive dans les zones réservées, à savoir de petits bourgs, vivaient pauvres et entassés. La seule éducation accessible à la plupart des enfants juifs était fournie par l'école religieuse élémentaire, le Kheder.

On pourrait dire qu'une politique discriminatoire au temps du tsarisme était dirigée contre toutes les minorités, mais ce sont seulement les juifs qui ont du subir la cruauté barbare des pogroms, massacres initiés par le gouvernement du Tsar et l'église orthodoxe. Le racisme et les actions contre les juifs en Russie ont toujours émané du pouvoir central. Plusieurs vagues de pogroms, qui ont eu lieu en Russie au tournant du siècle, ont suscité l'indignation et la protestation de piliers de la culture russe. Les écrivains Léon Tolstoï, Nicolas Leskov, Maxime Gorki, Vladimir Korolenko et les philosophes Vladimire Soloviov, Nicolas Berdiaev, blâmaient cette cruauté et protestaient contre cette politique inhumaine.

Mais les lois discriminatoires n'arrêtèrent pas le développement de la culture juive. Au 19ème siècle, la littérature juive était bilingue : les érudits tentaient de faire revivre l'hébreu et les démocrates adoptèrent le yiddish - la langue parlée par les gens du peuple. Dans les villes se développa une littérature à la fois russe et juive.

Les premiers livres pour la jeunesse juifs étaient didactiques : manuels scolaires ou adaptations de textes religieux. Les livres récréatifs apparurent plus tard. En 1849 en Russie, parut un livre de lecture en hébreu Alphabet ou l'Education de la jeunesse qui réunissait des histoires sur des enfants, des contes et des poèmes. Les principaux centres d'édition de livres juifs pour la jeunesse étaient Varsovie, Vilno et Odessa. Des collections de contes juifs étaient publiées (série des " Tous les contes d'Israel ", 1894) et des histoires pour les enfants. Parmi les auteurs de cette époque, on peut citer I.Levner (histoires pleines d'humour), Sh.Berman (biographies des héros nationaux), A.Ljuboshitski (chansons pour enfants). Le premier journal pour enfants en hébreu paru à Vilno au début du siècle. Des écrivains pour adultes écrivaient aussi pour les enfants - Khaim Nahman Bialik, S.Ben-Tsion, D.Frishman, etc.

Cependant les livres en hébreu ne pouvaient toucher les jeunes lecteurs qui ne comprenaient pas cette langue, puisque leur langue maternelle était le yiddish. Quoique le petit nombre de livres pour la jeunesse en yiddish avait également du mal à atteindre ses lecteurs. Les gens riches essayaient d'envoyer leurs enfants dans les écoles russes afin de leur préparer un avenir plus favorable. Les écoles des villages juifs, où habitaient les pauvres, ne dispensaient qu'un savoir minimum et les livres pour enfants y étaient rares et pas forcément les bienvenus. L'atmosphère lugubre de ces écoles est décrite dans les livres de Cholem Aleichem (Le professeur Boim, Le drapeau, Le sommet), Lev Kvitko (Lyam et Petrik) et dans les mémoires de Marc Chagall.

Ainsi, le cercle où circulait la littérature juive pour enfants avant la Révolution était très restreint, et son influence éducative sur les jeunes générations insignifiante. Cependant, c'est à cette époque que la littérature juive pour la jeunesse prit sa place au sein d'un héritage culturel national. Son fondateur fut Cholem Aleichem qui créa de merveilleuses figures d'enfants juifs.

L'écrivain présentait avec sympathie et respect le monde d'un enfant juif. Ses petits héros - Cholem lui-même, Mottel et son ami Shmulik - sont malicieux, plein d'inventions et farceurs. Leur vie n'est pas un lit de roses, ils apprennent la pauvreté et souffrent de la dureté des temps mais conservent tout leur optimisme. " J'ai de la chance, je suis orphelin " répète à loisir Mottel qui supporte avec courage la destinée de sa famille et affronte toutes sortes d'expériences et d'aventures. Beaucoup d'histoires de Cholem Aleichem sont particulièrement tristes : la mort tragique d'un vieux cheval blessé qui appartenait au porteur d'eau, la maladie dans laquelle, sous le poids de sa conscience, sombre un garçon qui a volé un canif, le mauvais tour qui a balayé la joie du garçon en voyant son nouveau drapeau brûler un jour saint.

Les enfants juifs apprennent de bonne heure ce qu'est la vraie vie, que la vie est une chose sérieuse et que prendre du bon temps n'en est pas le but. Un lecteur d'aujourd'hui pourrait penser que les petits héros sont privés d'enfance, qu'ils partagent le même sort que les adultes, qu'il n'y a pas de place pour les contes merveilleux et les jeux insouciants, que dès le plus jeune âge ils doivent aider leurs parents. Tous les enfants sont élevés dans la religion et vivent dans le cadre strict des rituels, selon le même schéma de vie que celle de leurs parents. L'imagination des enfants se développe non pas avec les contes de fées mais à partir des croyances religieuses et mystiques : ils ne jouent pas aux fées et aux princesses, mais partent à la recherche d'un trésor enfoui qui pourrait être celui des maîtres de la Kabbale. La relation aux parents manque de sensibilité. Les pères et mères ne conversent pas plaisamment avec leurs enfants. Un coup sur l'oreille, une gifle, un sermon moralisateur sont les principaux moyens d'éducation. Pourtant, les parents accordent beaucoup d'attention à l'éducation de leurs enfants, dont le but n'est pas seulement d'apprendre à lire et écrire mais aussi d'acquérir des connaissances religieuses et d'assimiler les traditions communautaires. D'un côté, l'écrivain montre l'ignorance et la cruauté des maîtres, surnommés par les élèves " le meurtrier " ou " l'ange de la mort ", en raison de leur usage des punitions comme seul principe " éducatif " : enseigner sans fouetter était impensable. D'un autre côté, il montre le respect des juifs pour l'éducation et le livre. Le père du jeune héros de l'histoire " Le canif " lui reproche sa paresse : " Le vaurien ! huit ans déjà, et pas capable de rester tranquille avec un livre sacré ! Espèce de fainéant sans cervelle ! "

Cholem Aleichem a réussi à dépeindre une grande variété de caractères communautaires. Ses héros ne sont pas des gens passifs, frappés par la misère, ils cherchent le bonheur ainsi qu'à préserver leur dignité identitaire. Ils ne perdent pas espoir dans les situations les plus difficiles, et continuent à croire que " tout est pour le mieux ". L'humour gentil et l'ironie subtile qui caractérisent Cholem Aleichem, sont un héritage de la littérature juive.

La chute du tsarisme a amené d'innombrables changements dans la vie des Juifs. Le gouvernement provisoire abolit les discriminations nationales et religieuses et fait des Juifs des citoyens à part entière. Cette politique d'émancipation a été poursuivie par les Bolcheviques. Ils accordèrent aux Juifs comme à toutes les autres minorités nationales tous les droits civiques. Les améliorations sur le plan politique contribuèrent au développement de la culture juive et de la littérature, et tout particulièrement au maintien du Yiddish comme moyen d'expression littéraire. Dans le même temps, après la Révolution, la politique nationale démocratique était menée de concert avec une campagne antireligieuse. Les églises et les synagogues furent fermées. Il apparut rapidement que pour bénéficier des avantages liés à leur récente émancipation, les juifs, comme les autres d'ailleurs, devaient abandonner leurs traditions, coutumes et croyances. Ainsi la nouvelle culture juive soviétique était coupée de sa plus importante source - la foi ancienne. Culture et religion du passé étaient décrétées par les Bolcheviques " bourgeoises " et " dangereuses ".

Mais une large majorité des jeunes juifs, qui n'étaient plus liés désormais à la pratique religieuse traditionnelle adoptèrent les principes de la révolution avec un enthousiasme déclaré : nombre d'entre eux composèrent des chansons, et en devinrent les chantres (Itzi Harik, Itzik Fefer, David Hofsteyn, Zelik Akselrod). Les écrivains de la vieille génération après avoir été confrontés à une crise idéologique, selon les termes des critiques, reprirent leur activité littéraire (Peretz Markish, Dovid Belgerson, Der Nister). La littérature yiddish se développa rapidement. Certains qualifient le court intervalle entre les deux guerres d'âge d'or de la littérature juive.

Un jeune poète Aron Kushnirov, soldat dans l'Armée rouge, analyse son attitude face au changement de vie de son peuple. " ... Je ne possède pas, même en rêve, un pays de miel et de lait. Dans mon âme une petite souris gratte - une mélodie de mon père et de mon grand père, mais la porte de chabbath, la semaine l'a scellée avec une étoile. "

Les jeunes générations ont quitté leurs anciens foyers pour les villes et les zones en plein développement et se sont assimilées rapidement. Beaucoup de juifs s'engagèrent dans la vie sociale et politique. Le nombre d'écoles juives se développa rapidement (en 1930, elles recevaient 160 000 élèves), ainsi que le nombre de publications - livres et périodiques. Des théâtres juifs d'Etat furent créés dans beaucoup d'endroits d'Union soviétique. Pour beaucoup, cette période fut considérée comme la renaissance attendue depuis longtemps d'une culture nationale.

Le livre d'un américain, Léon Dennen, Où se termine le ghetto parut à New York en 1934, le journaliste de rendit en Russie soviétique et se passionna pour la vie des Juifs russes. L'auteur cite les chiffres suivants : il existe environ 30 journaux et périodiques yiddish en Russie ainsi qu'un certain nombre de périodiques pour la jeunesse, qui sont diffusés à plus de 400 000 exemplaires.

Les Bolcheviques déclarèrent prioritaire la création d'une nouvelle culture - nationale par le forme et socialiste par le fonds. Que cela signifie-t-il ?En ce qui concerne la littérature, par exemple, cela veut dire une littérature en langue nationale mais présentant les idéaux communistes.

Une de mes témoins - Maya Isaakovna Rodak - me raconta une histoire remarquable. En 1927, ses parents qui étaient enseignants dans un collège juif de Riga vinrent en Russie, convaincus que c'était le pays d'une véritable renaissance juive. Dans un premier temps, la famille s'installa à Kiev, leur fille fréquenta un jardin d'enfants juif puis une école juive. A cette époque, il existait également des collèges juifs et des départements juifs dans de nombreux instituts. Le père enseignait le yiddish dans une école juive et participait à la rédaction de manuels de yiddish. Maya Rodak se souvient que l'enseignement se faisait totalement en yiddish et qu'on leur enseignait également la littérature et l'histoire juive, mais le contenu était le même que celui des autres écoles - russes ou ukrainiennes. Dans ce cas aussi prévalait ce même principe d'éducation, nationale par sa forme et socialiste par son contenu. Le niveau d'éducation était élevé, les enfants apprenaient également le russe, l'ukrainien et l'allemand. Mais, est-ce que les enfants se sentaient les héritiers des anciennes traditions culturelles de leurs ancêtres ? Je ne le crois pas. Les enfants des années 1920 et 1930 se sentaient soviétiques, ils n'attachaient pas d'importance aux différences nationales. " Que chantiez-vous ? ", demandai-je à Maya Isaakovna. " Les mêmes chansons que les autres enfants, sur le Drapeau rouge et la vie des Pionniers ". Le brillant avenir socialiste, auquel les enfants s'étaient préparés, ne devait pas comporter de divisions nationales et tous les enfants étaient élevés pour bâtir le communisme. Cela s'appelait l'éducation à l'internationalisme. Les enfants croyaient vraiment en un avenir heureux et sûr et ne se retournaient pas vers le passé.

Un enseignement réussi de l'internationalisme ainsi que des changements vitaux en politique générale amena, à la fin des années 1930, le déclin des écoles nationales. Maya Rodak raconte qu'en 1934, sa famille déménagea à Odessa, où, à cette époque, il y avait 17 écoles juives. En 1937, il n'en restait plus qu'une qui, malgré leur niveau élevé d'éducation, n'intéressait plus les parents et les élèves. Maya Rodak se souvient comment, avec ses camarades de classe, membres d'un cercle de jeunes communistes, elles se rendaient dans les familles juives et les encourageaient, en vain, à envoyer leurs enfants à l'école juive. Les adultes refusaient et disaient " Vous voulez nous renvoyer au ghetto ? ". " C'est ainsi que les écoles juives périclitèrent d'elles mêmes ", conclut mon témoin.

Mais tant qu'elles existèrent, la littérature juive en Russie connut des conditions uniques de développement : le nombre de publications s'était considérablement accru, de même que le nombre de jeunes lecteurs. Les écrivains de l'époque antérieure à la Révolution n'auraient même pas pu l'imaginer.

De nombreux écrivains juifs apportèrent leur contribution à la littérature pour la jeunesse en yiddish : I.Gutyanski, A.Plater, Itzik Kipnis, Der Nister. Malheureusement, la plupart de leurs écrits ne furent jamais traduits dans d'autres langues et sont de nos jours tombés dans l'oubli. Seuls deux poètes connurent une véritables popularité : Lev Kvitko (1890/93-1952) et Ovsej Driz (1908-1971). Tous deux avaient reçu une éducation juive traditionnelle, tous deux avaient bien accueilli les changement politiques de leur pays et croyaient profondément aux idéaux communistes, mais ils préservaient l'héritage juif et le mêlaient à leur travail. En fait, leur style était socialiste par sa forme, mais, quoique dans un sens différent, le fonds reflétait leur caractère national et leur mentalité.

Leurs vers ont été traduits par les plus grands traducteurs russes, par les meilleurs poètes pour la jeunesse, Samuil Marshak, Mikhail Svetlov, Elena Blaginina, Roman Sef, Genrih Sapgir. Je pense que la traduction est une oeuvre unique - le résultat de la rencontre entre un poète et son traducteur, qui est amoureux du texte original. Ces traductions de valeur rendirent Kvitko et Driz populaires et appréciés des jeunes lecteurs de diverses nationalités. Les poètes avaient du succès auprès du public russe et apportèrent une note juive à la littérature russe.

Les premiers livres pour enfants de Lev Kvitko parurent dans les années 1920. En 1928, il en avait publié 17. Kvitko écrivait aussi pour les adultes, mais c'est à ses poèmes pour les enfants qu'il dut sa célébrité. A une époque riche en événements, alors que tout ce qui était grandiose et important était glorifié, et que l'art et la littérature traitaient de problèmes d'ordre général et parlaient de la Révolution mondiale dans " la langue rude des slogans " (Maïakovski), la poésie de Lev Kvitko séduisait par son ton intimiste, son attachement sincère aux toutes petites choses de la vie - les jeunes arbres sous la pluie, le sapin, fier et solitaire, d'où va émerger une forêt, le courageux insecte qui échappe à la grenouille ... Même dans ses vers politiques, le poète arrivait à trouver une intonation humaine sincère, qui caractérise par exemple un des poèmes les plus célèbres de Kvitko - Lettre à Voroshilov, quand un jeune garçon écrit avec un naturel touchant au célèbre général de l'Armée rouge pour lui faire part de son désir de devenir soldat.

Ce rare talent de souligner l'importance des petites choses et cette habileté à faire part de ses découvertes aux lecteurs démontrent un véritable talent. Kvitko écrivait pour les très jeunes enfants - de 3 à 7 - ses poèmes sont très lyriques. Il s'exprime plus volontiers sur les sentiments que sur les événements, ce qui est original dans la poésie pour enfants qui privilégie l'amusement et le divertissement.

Pouvons-nous percevoir les racines juives dans les poèmes de Kvitko ? A première vue, les vers de Kvitko ne se distinguent pas du reste de la poésie soviétique pour les enfants. Mais ce n'est qu'une première impression. Les vers de Kvitko se caractérisent pas la richesse de la langue, qui est profondément ancrée dans la tradition nationale et dans le folklore juifs. Les poèmes regorgent d'humour et d'ironie tout autant que de sympathie et d'amour. Le poète admire ses jeunes héros, source de joie et d'optimisme pour lui - et cela traduit aussi une conception particulière de l'enfance. Au cours de l'histoire, le mode de vie particulier aux villages juifs a disparu, les traditions religieuses se sont réduites à presque rien et ont sombré dans l'oubli, mais l'âme de cette communauté a survécu, comme en témoigne quelques étincelles en vers qui contribuent à son charme.

L'attitude de Kvitko envers ses origines est également très original. Pour lui, Juif, représentant d'une nation persécutée, la Russie soviétique devint le pays capable de transformer les rêves en réalité, où son peuple avait obtenu égalité et liberté. Le sentiment de tout maîtriser, que le monde qui vous entoure vous appartient, fait que le poète peut admirer les petites choses de ce monde et ressentir sa propre responsabilité envers lui. Il est comme un homme qui est rentré chez lui après un long exil et retrouve avec bonheur d'infimes vestiges d'un monde familier.

Ovsej Driz aborde le thème national différemment. Ses premiers recueils de poèmes parurent dans les années 1930, mais il eut une carrière particulière. En 1934, il s'engagea dans l'Armée rouge, servit sur le Front occidental et ne retourna à la littérature qu'à la fin des années 1950. Ses premiers poèmes pour adultes étaient imprégnés de romantisme révolutionnaire. Son premier livre pour enfants Le joyeux boulanger parut en 1959 en traduction russe, suivi par d'autres. Les textes originaux en yiddish furent publiés quelques années après. Pendant longtemps, le poète garda ses poèmes en réserve en attendant des jours meilleurs, aussi germèrent-ils comme des graines magiques et donnèrent-ils de magnifiques fleurs.

La poésie de Driz est construite comme une pièce de théâtre, comme un conte. Ses héros sont de petits personnages qui vivent à la fois dans la réalité et dans un monde féerique où tous les miracles sont possibles. Les enfants en sont les principaux magiciens - grâce à leur imagination, les bulles de savon peuvent se transformer en nuages, une petite boîte en un royaume des fées et un insecte en roi!

La note juive apparaît plus clairement dans les vers de Ovsej Driz : un lecteur familiarisé avec plusieurs générations d'une grande famille juive, peut retrouver des interprétations poétiques d'anciennes légendes. Le livre Les sages de Chelm donne une vision poétique du passé. Les histoires et poèmes de ce livre sont pleins de nostalgie pour ce monde qui a disparu à jamais. Il raconte les difficultés mais aussi la beauté de la vie si particulière de ce vieux village juif et le souhait permanent de jours meilleurs auxquels ses habitants aspirent.

" Il était une fois un ancien village. Comme dans tout village, la plupart de ses habitants étaient malheureux. Tout ce qu'ils entreprenaient échouait... Mais chaque matin, ils se réveillaient avec un nouvel espoir : aujourd'hui était peut-être le jour où la chance frapperait à leur porte. Mais les jours passaient et rien ne changeait.

Un jour, un prédicateur local annonça :

  • Les papillons de l'espoir se dirigent vers le village ! A midi, ils se poseront pour se reposer sur la place du village. Tous ceux qui auront réussi à poser leur chapeau sur au moins un papillon pourront voir leur voeu se réaliser.

Au petit matin, les gens se précipitèrent vers la place du village. Chacun portait un chapeau et observait le ciel. Enfin, un léger nuage coloré apparut au loin. Il s'arrêta au dessus du village et les papillons commencèrent à se poser : des rouges, des bleus, des verts et des jaunes. C'était comme si un arc-en-ciel s'était posé au sol.

Les gens soupirèrent d'étonnement. En un rien de temps, la place se couvrit de chapeaux. Le silence était tel qu'on entendait les nuages glisser dans le ciel. Les villageois retinrent leur souffle. Chacun attendait de voir qui oserait soulever son chapeau le premier. Car si on soulevait le chapeau, le papillon aurait pu s'envoler. Aussi, les chapeaux restèrent posés sur le sol de la place.

J'aime beaucoup mon chapeau. Mais chaque fois que je le mets, je me sens un peu triste - à l'intérieur, il n'y a plus trace d'un papillon oublié des temps anciens. "

Ce conte triste nous conduit aux pages sombres de notre histoire. A partir de la fin des années 1930, la politique du gouvernement soviétique envers les Juifs change. On commence à juger ce qui est national comme nationaliste et de ce fait dangereux. Les répressions politiques des années 1930, la tragédie de la guerre, les campagnes contre les Juifs orchestrées par Staline après guerre balayèrent toutes les illusions. Les meilleurs représentants de la culture juive furent exterminés. Lev Kvitko fut exécuté en 1952.

On doit reconnaître que malheureusement ni le dégel politique de la période post-stalinienne ni les promesses officielles ne purent arrêter l'engrenage de l'antisémitisme qui s'était déclenché une fois de plus. Les papillons s'étaient envolés ...

Avant la guerre, les Juifs d'Union soviétique pouvaient se sentir aussi " soviétiques " que le reste de la population. Mais après la Catastrophe et les répressions d'après-guerre, après le réactivation des sentiments antisémites dans la société, après l'expérience de l'isolement et de l'hostilité, ils se sont de nouveau senti Juifs et étrangers. Le poète russe et juif Boris Slutsky écrivit :

    Alors que je grandis et que je mûris
    Je redeviens un Juif ...
    Autrefois j'ai avancé d'un pied
    Vers une sorte de reconnaissance ou de citoyenneté,
    Et maintenant je retourne à mes origines sans racines
    Je retourne du particulier au général

Le renouveau d'une conscience nationale en réaction à l'oppression suscita l'intérêt pour l'héritage national juif et en même temps provoqua le raidissement de la politique nationale officielle. Un nouvel objectif fut proclamé officiellement - une dénationalisation totale de la société et la création d'une nation unie - le peuple soviétique. La nouvelle politique gouvernementale était menée contre toutes les minorités nationales, et à l'extrême limite, cette utopie sociale menait à la désintégration de ce grand Etat multinational -l'URSS - comme nous avons tous pu le constater aujourd'hui.

Le judaïsme n'a pas connu pendant de nombreuses années de reconnaissance officielle et a été relégué en marge de la vie culturelle. Il pouvait exister essentiellement dans des formes marginales en littérature et en l'art ou dans le folklore et les récits. On en retrouve des échos dans les oeuvres d'auteurs russes juifs. Parmi les écrivains pour la jeunesse on peut citer Max Bremener, Alexandra Brunshtein, Anatoly Rybakov et quelques autres. Mais les jeunes lecteurs ont perdu leur innocence et une question amusante du héros d'un livre de Lev Kassil, un petit garçon qui venait d'apprendre qu'il existe différents peuples et que lui et sa famille sont juifs et se demandait si son chat était également juif, ne fait plus vraiment rire.

Heureusement, la culture conserve une capacité unique de sauvegarde et de renouveau. La mélodie juive persiste dans la culture russe, bien que moins forte qu'avant. Malheureusement, le renouveau de la culture classique juive, qui se manifeste depuis peu en Russie, privilégie les traditions hébraïques et néglige la littérature yiddish du passé soviétique. Je crois profondément que cette partie de l'héritage national mérite qu'on s'y plonge et j'espère qu'elle trouvera ses défenseurs et ses chercheurs.

Je souhaite terminer cette communication par un autre conte de Ovsej Driz.

    " Un jour, un philosophe de Chelm trouva un superbe marque pages dans un vieux volume - l'image d'une très belle ville était brodée en perles. Ce n'était pas Londres, ni Rome, c'était ... Chelm ! Le philosophe fit part de sa découverte à d'autres sages : autrefois leur ville était en perles ! Quelle merveille ! Mais les sages étaient mécontents, car quelqu'un les avait dépossédés de leur passé merveilleux. Le seul témoin de cette existence antérieure d'une ville en perles était une petite souris qui avait conservé deux perles noires ... à la place des yeux. Les voleurs ne trouvèrent pas la souris dans la cave sombre. "

Deux perles noires - Est-ce le seul héritage ? ou seulement le rappel que le temps de juger et diviser est révolu. J'ai consacré mon travail aux destinées de l'héritage juif dans mon pays mais la question est plus large et il ne s'agit pas d'un " problème juif ". L'interaction entre les cultures, le multiculturalisme sont un des enjeux essentiels du monde actuel. Nous prenons en compte l'expérience du passé pour résoudre les problèmes contemporains. Un poète juif contemporain écrit :

    " La vitre de ma fenêtre est transparente et propre - à travers elle, on peut voir le monde entier qui pleure et qui rit. Mais quand on en recouvre une partie de peinture argentée, pour quelques francs ou même un peu plus - la terre entière disparaît à nos yeux, et la glace propre devient un miroir, et aussi propre que soit le miroir, il n'y a que toi que tu y vois. "

Regardons plus souvent le monde extérieur à travers notre fenêtre !

Bibliographie :

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