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66th IFLA Council and General
Conference

Jerusalem, Israel, 13-18 August

 
 


Code Number: 013-145-F
Division Number: VII
Professional Group: Library History
Joint Meeting with:
Meeting Number: 145
Simultaneous Interpretation: No

Le Verbe (Logos), la Bible (Biblos) et la Bibliothèque (Bibliothêkê) : les influences chrétiennes sur le développement de la bibliothèque

John Mark Tucker
Purdue University Libraries
West Lafayette, Indiana, USA


Résumé

L'essentiel dans la nature de Yahvé est sa façon puissante d'agir en faisant naître les choses par la parole. Il agit par amour en créant les êtres humains à sa propre image afin d'être en communion avec eux. Les actes de pouvoir et d'amour de Yahvé constituent l'essentiel de sa nature. " L'amour constant du Seigneur jamais ne cesse, ses compassions jamais ne s'épuisent ; elles se renouvellent chaque matin; grande est sa fidélité. " (1).


Paper

La nature de Yahvé

Les traits du pouvoir associés à ceux de l'amour constituent les caractéristiques essentielles qui, pour nous, résument qui est Dieu et la façon dont il a interagi avec les êtres humains. Il est (1) le Dieu qui crée et maintient la vie sur terre, et qui a confié aux êtres humains la responsabilité de veiller sur toute la création. (2) Il est celui qui fit des promesses à Abraham après l'avoir choisi, lui et ses descendants, pour transmettre sa bénédiction à toutes les familles de la terre. (3) Il délivra les Israélites de l'esclavage en Egypte et leur fit traverser, sains et saufs, la Mer Rouge, marquant ainsi leur passage de l'asservissement à la liberté. (4) Il protégea les Israélites dans le désert, leur apportant l'instruction, instaurant la discipline, les pourvoyant en nourriture et les préparant à la Terre promise. (5) Il conclut une alliance avec le peuple, fondement d'une foi nouvelle, et il mit ce pacte par écrit. (6) Il inventa des lois pour régir les relations entre êtres humains et pour leur enseigner l'amour et le respect mutuels. (7) Il mena son peuple victorieux au combat, suscitant l'allégeance envers lui et la dévotion pour la vie de sacrifice. (8) Yahvé donna aussi à son peuple la jouissance d'un territoire bien défini avec des règles pour l'exploiter et, pour finir, (9) il choisit le Roi David pour conduire son peuple dans la voie de la justice et promis d'établir le royaume de David pour toujours. (2) La naissance de Jésus de Nazareth, descendant direct de David, à la tête d'un nouveau royaume, constitua l'ultime accomplissement de cette promesse.

La nature de Yahvé est déterminante pour les bibliothèques de même que les mots sont déterminants pour les bibliothèques. Les mots de la Bible sont porteur d'une force et d'un sens allant bien au-delà de l'usage courant qu'en fait la culture contemporaine. Yahvé parle et ce qui était jusque-là dépourvu d'existence se met à vivre. La parole de Dieu est un feu, elle martèle, plus affilée qu'une épée à double tranchant, capable de métamorphoser les vies ; elle est si puissante qu'elle exista dès l'origine des temps et prit forme humaine dans la bouche de Jésus. Envisager la Bible, selon une perspective biblique, implique de ne jamais sous-estimer le pouvoir du langage, l'usage des mots pour informer, instruire, apaiser ou couvaincre. L'auteur des Proverbes s'enthousiasma pour le potentiel des mots lorsqu'ils sont prononcés à propos. (4) Cependant, le Dieu des Israélites transcende la simple énonciation des mots en élaborant des pactes et en créant un système de lois. Ainsi, ses attributs président fondamentalement à la définition des idéaux de la pratique bibliothéconomique. Ils témoignent de la haute valeur attribuée aux mots, à la loi et à d'autres types de littératures qui, chargées d'expressivité, défient l'intelligence et remuent l'âme.

 

Antécédents bibliques à la pratique bibliothéconomique

On peut voir dans le fait que Yahvé désigne Adam pour nommer, et de cette façon, classer les animaux sur terre, des antécédents propres à la bibliothèque. La découverte du Livre de la Loi, qui avait été perdu et ignoré pendant des années, eut pour conséquence une réforme touchant à la fois la société et la religion sous le règne du Roi Josiah. L'Apôtre Paul, à la faible lumière d'une cellule de prison, lança un appel pour que les livres, les parchemins et la Bible elle-même (biblos en grec) devinssent une collection de livres, une bibliothèque d'ouvrages soigneusement sélectionnés, choisis et disposés sur la base de l'autorité et de la théologie. Etudier et produire des livres fatigue l'esprit, lire pour atteindre la connaissance et la sagesse, pour favoriser le développement spirituel et intellectuel, est cependant une injonction perpétuellement reprise. (5)

 

Jésus et le modèle du dévouement

Au-delà de l'univers et de l'humanité, c'est à travers son fils Jésus, dont la vie rédemptrice devint un modèle de dévouement à autrui, que Yahvé se manifesta le plus puissamment. Deux passages du Nouveau Testament méritent plus spécialement attention. Le premier, écrit par l'Apôtre Paul et portant sur la nature fondamentale de Jésus, est en même temps crucial pour la vocation de la bibliothèque et la pratique bibliothéconomique. " Ne laissez aucune place à l'ambition personnelle et à la vanité mais estimez humblement les autres supérieurs à vous-mêmes. Veillez aux intérêts de tout un chacun et non aux vôtres seulement. Cultivez entre vous ce que vous trouvez en Jésus-Christ. Il était de condition divine ; pourtant, il ne prétendit pas à l'égalité avec Dieu mais s'anéantit lui-même, prenant la condition d'un esclave. Semblable aux hommes, partageant leur lot, il s'humilia lui-même , obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix! " (6)

Cet extrait définit l'idéal selon lequel vivre en chrétien, c'est vivre en serviteur, selon lequel toute personne dépend d'autrui et, dans cette dépendance, mène une vie au service d'autrui. Les individus appartiennent à Jésus et s'engagent eux-mêmes à le servir. Mais la nature humaine est telle que les croyants échouent dans leurs tentatives d'atteindre l'idéal. La force de l'appel du christianisme tient à l'idée que Jésus, le fils de Dieu, accorde la grâce ; sa vie et ses actes rachètent les fautes des hommes et des femmes.

Mettre de côté son ambition personnelle dans le but de considérer les autres comme supérieurs à soi est à l'origine d'un principe classique de développement des collections. Honorer et respecter autrui implique d'accorder une place aux idées qui s'opposent. L'idéal est de promouvoir sa propre opinion tout en écoutant celle d'autrui. Ceci suppose la constitution de collections des différents points de vue. Une vie fondée sur la foi devrait reposer sur la conviction que la conception chrétienne ne craint pas le défi et la comparaison sur le marché des idées et, en fait, invite à l'engagement. (7)

Enjoindre de veiller aux intérêts d'autrui, c'est enjoindre de servir. Suivre le modèle de Jésus, c'est suivre le modèle d'un vie passée à servir. La bibliothèque n'existe jamais pour elle-même ; elle existe pour servir les intérêts du plus grand nombre. Le concept de service est au coeur des débats sur la vocation sociale de la bibliothèque. Pour reprendre le mot d'un fameux philosophe, une bibliothèque qui ne serait pas fréquentée ne vaut pas la peine d'être construite. Si le lecteur n'était pas attiré par la collection de multiples volumes et de divers points de vue, le bibliothécaire n'aurait aucune vocation à assembler cette collection.

Un second passage rapporte ceci : " En même temps qu'il grandissait en taille, Jésus croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. " (8) Nous voyons ici le processus de développement. Jésus croissait sous des aspects essentiels à la construction d'un adulte mûr, actif et responsable. Il croissait en sagesse, ce qui n'est pas seulement acquérir la connaissance mais aussi interpréter et mettre en application son sens. Il croissait en grâce devant Dieu (sa relation spirituelle à son père) et en grâce devant les hommes (l'interaction avec les autres êtres humains). Aider à la croissance sous ces aspects, est à coup sûr une vocation de la bibliothèque. (Bien que ne faisant qu'une présentation des plus basiques de la théologie chrétienne, je suggère de possibles implications dans le développement des bibliothèques). Les bibliothèques existent, comme d'autres entités pédagogiques, pour aider à chercher, à s'informer, à lire, à apprendree, à grandir, à mûrir et à rendre l'humanité plus proche des expériences et humaine, et divine.

 

Les influences chrétiennes dans les empires romain et byzantin

Le christianisme se développa lentement mais inexorablement à l'époque de la domination romaine. Les chrétiens manifestèrent une révérence pour la Bible, pour les ouvrages doctrinaux et se rapportant à la Bible et, plus généralement, pour les livres. Les communautés chrétiennes impliquant écoles et bibliothèques comprenaient ordinairement une équipe d'individus qui copiaient des textes plus anciens, production de copies destinées aux usages contemporains et futurs. Certains scribes étaient à peine lettrés, ne comprenant qu'accessoirement la teneur des écrits sur lesquels ils travaillaient. D'autres devenaient érudits de leur propre chef. Quel que soit son niveau d'études, la principale motivation du scribe était de servir Dieu. Ainsi démarra un processus de reproduction culturelle qui devait se prolonger à travers les siècles. En suivant les correspondances perceptibles entre les lignes des écrits savants, nous pouvons constater l'influence d'un érudit sur un autre, le développement et la maturation des idées, la naissance de communautés rompues au partage de l'information et le rôle de la bibliothèque qui a facilité ces liens, ce développement et ce partage.

Alexandrie, où émergea un centre d'érudition chrétienne, constitue un exemple important, et Clément d'Alexandrie (150-215) se servit des collections locales pour reprendre les citations de 348 auteurs dans ses traités théologiques. Son disciple le plus éminent, Origène (185-254) fonda une école et une bibliothèque à Césarée, non loin de Jérusalem. Pamphile (240-310), élève d'Origène, entretint la bibliothèque et enseigna à Césarée pendant plusieurs années. Lorsque l'empereur Dioclétien tenta de détruire le christianisme (et les bibliothèques chrétiennes), la collection de Césarée échappa à son entreprise. Eusèbe (260-340) utilisa cette collection pour écrire son Histoire ecclésiastique, principale source pour l'histoire du christianisme allant de l'ère des Apôtres jusqu'à son époque. Jérôme (344-420) eut recours aux collections conservées à Césarée (tout comme à Jérusalem) pour préparer ses commentaires et traduire la Bible en latin, livrant ainsi ce qui constituera pendant des siècles la source première des bibles catholiques romaines. Euthalius (quatrième siècle), éditeur de manuscrits grecs, utilisa aussi la bibliothèque de Césarée, qui survécut vraisemblablement jusqu'à la conquête de la Palestine par les Perses en 614. Ainsi les premiers chrétiens mirent en place des dispositifs propres à favoriser le travail collectif et la transmission fidèle, d'une génération à l'autre, des textes fondamentaux et des ouvrages d'exégèse. Parallèlement, l'activité des scriptoriums se propagea sous leur influence et ils furent les premiers à adopter une technologie nouvelle en préférant le codex en parchemin au rouleau de papyrus. (9) Dans la première moitié du quatrième siècle, Constantin le Grand favorisa le christianisme dans la Rome impériale et les institutions chrétiennes atteignirent un nouveau degré de stabilité, s'étant répandues depuis le nord de l'Afrique et le Moyen-Orient à travers la majeure partie de l'Europe. Constantin établit une bibliothèque impériale à Constantinople et ses agents parcoururent l'empire à la recherche des livres chrétiens et des oeuvres profanes en grec et et en latin. La bibliothèque impériale symbolisa le prestige de Constantinople, centre d'enseignement qui abritait non seulement des bibliothèques mais aussi des écoles, des cathédrales, des monastères et des hôpitaux. L'importance de cette cité, au-delà de ses propres expressions culturelles, tient au fait qu'elle a préservé une grande partie de la littérature classique à travers le Moyen-Age. La cité et ses bibliothèques survécut au chaos de la guerre, du feu, de la négligence, aux fluctuations de l'économie et aux différentes influences de la vie intellectuelle jusqu'à son occupation par les Turcs Ottomans en 1453. (10)

 

Les bibliothèques monastiques

Lorsque l'influence romaine commença à décliner, les monastères, en particulier, ceux qui étaient situés dans des régions isolées, constituèrent des cadres actifs et relativement stables au service du christianisme. Dans un climat culturel hostile au développement des bibliothèques, les monastères devinrent essentiels à la préservation et à la transmission des textes et de la culture.

Deux importantes circonstances préparèrent un terrain favorable aux bibliothèques monastiques, les aidant à devenir des structures assez durables et souples pour subsister des siècles durant. Cassiodore (490-580) fonda le Vivarium près de Naples ; ce moine prisait les études non comme une fin en soi mais plutôt comme un moyen d'atteindre une meilleure connaissance des Ecritures. Cassiodore encouragea à la fois le travail intellectuel et le travail manuel, tous les deux appropriés au service de Dieu et au mode de vie monastique. Son respect pour les études et sa révérence pour les bibliothèques furent plus apparents encore dans ses Institutions, sorte de guide approfondi de la vie monastique incluant des instructions concernant la façon de manipuler, de corriger, de copier et de restaurer les manuscrits et exposant les qualités intellectuelles requises pour participer à une telle activité. Cassiodore " combina les conceptions monastiques de la lecture et de la contemplation avec l'idée d'une communauté d'érudits et, si ils n'étaient pas eux-mêmes des érudits, ces moines pouvaient soutenir l'érudition en copiant les livres et en construisant des bibliothèques ". (11)

Benoît de Nursie (480-550), qui créa les monastères du Mont-Cassin et de Subiaco au centre de l'Italie, fut responsable d'une seconde évolution majeure à partir de cette même époque. Le Mont-Cassin fut à l'origine de la fondation de nombre de monastères en Europe occidentale et de l'émergence des Bénédictins comme ordre monastique majeur. Bien que la Règle de Saint-Benoît corresponde à une approche moins savante et plus pragmatique que celle de Cassiodore, Benoît mit l'accent sur la lecture quotidienne de la Bible, sur le travail du copiste et, par là-même, sur le développement des bibliothèques, imitant ainsi le monachisme oriental et propageant ses idées jusque dans les enclaves rurales d'Europe occidentale. Les écrits de Benoît, parfois considéré comme le père du monachisme occidental, conjointement à ceux de Cassiodore, garantirent la place des bibliothèques et des scriptoriums au sein des monastères médiévaux. (12)

Une des plus remarquables prouesses jamais accomplie par un monastère byzantin, avérée par la postérité, eut pour cadre celui de Sainte-Catherine sur le Mont Sinai. Ses moines avaient veillé à la préservation d'un des plus anciens manuscrits conservés de la Bible, le Codex Sinaiticus, qui, à la différence des versions utilisées par Jérôme, comprenait le texte complet du Nouveau Testament. La découverte de ce manuscrit par Constantin Tischendorf en 1844 et 1859, stimula la révision de la version de la Bible de 1611, due au Roi Jacques et il devint ainsi la référence pour les traductions protestantes des XIXe et XXe siècles. (13)

Les historiens ont débattu dans le passé et continueront de débattre dans le futur la question du rôle relatif joué par le christianisme dans la préservation de la littérature classique. Ses détracteurs observent à juste titre que les ouvrages religieux étaient au coeur des préoccupations des ordres monastiques ; cependant, Cassiodore préserva les oeuvres d'érudits grecs, tels Sophocle, Sozomen et Theodoret. Tandis que 75 % des classiques grecs traversaient le temps grâce aux copies byzantines, certains ouvrages théologiques furent inscrits sur des palimpsestes, dont on avait effacé les classiques latins. Les premiers chrétiens s'en remirent à la communication orale et ce n'est que plus tard que l'Eglise devint gardienne de la culture et alors, elle le fut par défaut. La culture classique s'était érodée sous l'effet du déclin de multiples institutions et lorsqu'elle souffrit de la main des chrétiens, ce fut largement le résultat d'une inoffensive négligence plutôt que le fruit d'une destruction délibérée. (14)

 

Les universités et l'expansion du savoir

Etant données les limites obligées de cet exposé et parce qu'il s'agit de mon propre domaine de spécialité, mes commentaires s'attacheront davantage aux bibliothèques collégiales et universitaires, laissant de côté d'autres types de bibliothèques comme les bibliothèques privées, scolaires, publiques, gouvernementales ou encore les bibliothèques de livres rares dans leur diversité multiple. Si les premières bibliothèques universitaires furent en un sens héritières des bibliothèques monastiques, des antécédents plus prometteurs se trouvaient à l'ombre des cathédrales. Les cathédrales avaient trouvé des moyens pratiques de se lier à leur environnement immédiat ; celles qui étaient logées dans des centres urbains devinrent partie prenante des réseaux culturels et économiques. Au XIIe siècle, par exemple, la cathédrale Notre-Dame dirigea une des principales écoles publiques européennes. Les cathédrales étaient souvent le quartier-général des officiers ecclésiastiques ; elles assuraient la formation du clergé tout comme, à un niveau inférieur, l'instruction du profane. Leurs collections de livres étaient plus abondantes, plus diversifiées, plus à jour et mieux alimentées que les bibliothèques monastiques. A son origine, le modèle monastique procédait davantage d'un désir de renoncer au monde que de celui de préserver sa culture. Les cathédrales étaient en position d'inviter les étudiants à la vie urbaine et d'offrir des liens avec le monde, opportunité refusée à la population des monastères ruraux. (15)

Le foyer intellectuel que constituaient les universités représentait l'alliance des traditions issues du christianisme européen avec la littérature issue des cultures grecques, greco-romaines et arabes. Les arts libéraux incluaient le trivium et le quadrivium (la logique, la grammaire, la rhétorique, l'arithmétique, la musique, la géométrie et l'astronomie), la logique d'Aristote occupant une position prépondérante. (Les études supérieures étaient consacrées à la philosophie tandis que des écoles professionnelles enseignaient le droit, la médecine et la théologie). La Bible était considérée comme l'autorité suprême en tout domaine autant que dans le cadre de la formation théologique. Dans l'Angleterre du XIIIe siècle, l'enseignement de la théologie s'appuyait sur la Bible augmentée des travaux de Pierre le Lombard et des Pères de l'Eglise, Jérôme, Augustin et Grégoire ainsi que d'ouvrages de liturgie et de prédication. Les programmes et les méthodes d'enseignement et d'apprentissage présentaient de remarquables similitudes aussi bien dans l'espace - en Autriche, Bohême, Angleterre, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Pologne, Scandinavie, Ecosse et Espagne - que dans le temps - de la naissance des universités à la fin du XIIe siècle jusqu'à une époque bien postérieure à l'invention de l'imprimerie au XVe siècle. (16)

Plusieurs décennies séparaient généralement les débuts des bibliothèques de collèges de la naissance de leurs institutions-mères. Le Nouveau collège fondé en 1380 constitua une exception, premier collège d'Oxford doté, dès l'origine, d'une bibliothèque propre, laquelle donne une idée du statut accordé à la littérature religieuse. L'évêque de Winchester fit don de 312 volumes destinés à une collection de prêt (laquelle comprenait 136 volumes consacrés à la théologie, 53 au droit canon, 52 à la médecine, 37 au droit civil et 34 à la philosophie). Ainsi l'influence des traditions chrétiennes dominait et les collèges, en suscitant les dons de livres, avaient de beaucoup surpassé les monastères, lesquels s'étaient principalement appuyés sur leurs copistes. (17)

L'intérêt que je porte aux bibliothèques collégiales et universitaires tient à leur éminent profil en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Bien que n'appartenant pas à la catégorie la plus nombreuse, les bibliothèques collégiales et universitaires, particulièrement en l'espace de deux siècles, sont devenues incontournables du fait de leurs liens avec la recherche originale et, plus généralement, avec les études supérieures. Dans beaucoup de nations, les bibliothèques universitaires dominent " à la fois à cause de leur importance dans le développement intellectuel, économique et social de la nation et à cause du leadership qu'elles exercent sur les autres types de bibliothèques ". (18)

A la Renaissance (c'est-à-dire, en gros, du XIVe au XVIIe siècles), un fort courant humaniste alimenta le vif engouement suscité par la redécouverte de la culture matérielle et intellectuelle de l'antiquité grecque et romaine. Les érudits italiens furent parmi les premiers à parcourir les monastères et ils enrichirent les bibliothèques privées de Florence, Rome, Venise et de plusieurs autres cités plus petites. Les institutions ecclésiastiques, y compris la papauté, furent parmi les principaux mécènes à l'époque où l'Eglise Catholique Romaine était à l'apogée de son pouvoir économique et politique. Lorsque les idées de la Renaissance se répandirent en Europe centrale et septentrionale, elles eurent un impact moins immédiat sur l'accroissement des collections des bibliothèques. Dans les siècles qui suivirent, nombre des livres rassemblés par les érudits de la Renaissance prirent le chemin des bibliothèques nationales ou universitaires.

Dans l'Angleterre de XVIe siècle, la Réforme stimula la croissance des bibliothèques favorisée par le schisme entre protestants et Eglise catholique romaine. C'est dans ce contexte que la revendication d'un passé anglo-saxon vint enrichir, par exemple, les collections de livres du Collège du Corps du Christ à Cambridge. Les intérêts de la polémique protestante furent à l'origine de la création de la Bibliothèque Bodléienne ; les chrétiens s'intéressèrent également aux sources plus abondantes produites par les monastères. En Allemagne, l'intérêt manifesté par les Luthériens pour l'éducation se traduisit par l'implantation de nouvelles bibliothèques mais l'impact le plus profond fut le considérable enrichissement des universités d'Heidelberg, de Leipzig, de Marburg, de Wittenberg et d'autres encore.

L'invention de l'imprimerie à caractères mobiles au milieu du XVe siècle eut pour résultat une explosion spectaculaire du débit des publications. La Bible à 42 lignes de Jean Gutenberg (1455) engendra, durant les 45 années qui suivirent, environ vingt millions de volumes correspondant à un total d'éditions estimé à 30 000. L'imprimerie fit beaucoup pour les progrès de l'alphabétisation à travers toute l'Europe, particulièrement lorsqu'elle agit de concert avec la Réforme protestante et l'après-Réforme qui prônaient la lecture et l'étude privées de la Bible. (19)

 

Le christianisme et les études supérieures en Amérique du Nord

Comme leurs homologues européens, nombre des collèges et des universités les mieux établis aux Etats-Unis doivent leur existence à la foi chrétienne. Du temps de la colonie, les neuf premiers collèges répondirent aux intérêts de la confession protestante, sept d'entre eux assurant initialement la formation des pasteurs. Parmi les collèges fondés avant 1860, 180 furent créés par les chrétiens : 49 par les presbytériens, 34 par les méthodistes, 25 par les baptistes, 21 par les congrégationalistes, 14 par les catholiques, 11 par les épiscopaliens, 6 par les luthériens, 5 par les chrétiens (Disciples) et 15 par 7 autres obédiences. Yale, en particulier, fut un collège qui se mit à fonder d'autres collèges. Sa progéniture, souvent conçue en collaboration avec les presbytériens, compte aujourd'hui nombre de magnifiques collèges de culture générale ainsi que l'université californienne de Berkeley. Les congrégationalistes présidèrent seuls à la naissance d'Harvard, de Yale et de l'université de Californie; parmi les bibliothèques universitaires de recherche, celles de ces établissements se classent au premier, second et quatrième rang si l'on considère leur nombre total de volumes. (20)

 

Remarques en guise de conclusion

Le savoir contemporain converge avec la pratique originelle dans la mesure où nombre de ces institutions - s'appuyant sur d'excellentes bibliothèques - sont devenues les premiers vecteurs de l'enseignement et de la recherche. Si elles sont au service d'une société profane et à la remorque de la technologie, une enquête historique méticuleuse confirme leur origine chrétienne. Bien qu'elles oeuvrent moins pour la construction des communautés (21) que pour la reproduction culturelle, les grandes bibliothèques universitaires illustrent le processus de croissance décrit dans Luc 2:52. Sans être spécialement inféodées au credo du christianisme, elles doivent leur existence à une puissante alchimie entre la curiosité intellectuelle et la notion chrétienne de dévouement. Elles continuent de favoriser les progrès de la " croissance en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes ". Bien que n'ayant cité qu'une poignée d'exemples, j'ai cherché à montrer comment les idées chrétiennes de base ont facilité, stimulé, soutenu et alimenté nos grandes bibliothèques.

 

Notes

  1. Lamentations 3:22-23, Revised English Bible. Male gender language is used throughout in references to Yahweh in order to respect original terminology. The context indicates that Yahweh possesses characteristics of both genders. See Genesis 1:27.

  2. Psalm 89:20-33. For a fuller explication of Yahweh's character, see John Bright, The Authority of the Old Testament (Grand Rapids: MI: Baker, 1981); Thomas H. Olbricht, He Loves Forever: The Message of the Old Testament (Austin, TX: Journey Books, 1980); Gerhard Von Rad, Old Testament Theology: The Theology of Israel's Historical Traditions (New York: Harper, 1962); and George Ernest Wright and Reginald H. Fuller, The Book of the Acts of God: Christian Scholarship Interprets the Bible (London: Duckworth, 1960).

  3. Matthew 1:1 and 12:23; and Acts 2:33-36.

  4. Jeremiah 23:29; Hebrews 4:12; Psalm 119:11; John 1:1 and 1:14; Proverbs 25:11.

  5. Genesis 2:20; 2 Chronicles 34:1-33; Ecclesiastes 12:12; Deuteronomy 6:1-9 and 31:9-13; 1 Timothy 3:14; 2 Timothy 2:15 and 3:14.

  6. Philippians 2:3-8, Revised English Bible.

  7. Christians have long been linked to efforts to suppress the printing, distribution, and accessibility of various publications. Scholarship on this issue continues to grow. Among the classics are books by George H. Putnam, The Censorship of the Church of Rome and Its Influence Upon the Production and Distribution of Literature: A Study of the History of the Prohibitory and Expurgatory Indexes, Together with Some Consideration of the Effects of Protestant Censorship and of Censorship by the State, 2 vols. (New York: G. P. Putnam, 1906-07), reprinted by B. Blom in 1967; Ralph E. McCoy, Freedom of the Press: An Annotated Bibliography (Carbondale, IL: Southern Illinois University Press, 1968) which has two supplements; and Anne Lyon Haight, Banned Books: Informal Notes on Some Books Banned for Various Reasons at Various Times, 3rd ed. (New York: R. R. Bowker, 1970). In 1998, Facts on File issued four monographs, one each devoted to the suppression of literature on the basis of religious, sexual, social, and political criteria. The 1984 Herbert Ross film, Footloose (Los Angeles, CA: Paramount, 1984), presents a book burning incident that typifies some Protestant and Catholic concerns. I recommend the approach taken by Donald G. Davis, Jr. in "Intellectual Freedom and Evangelical Faith," Christian Librarian 9 (November 1985-February 1986), 3-6.

  8. Luke 2:52, Revised English Bible.

  9. All dates are approximations. See relevant entries in F. L. Cross and E. A. Livingstone, eds., The Oxford Dictionary of the Christian Church (Oxford: Oxford University Press, 1997). See also Sidney L. Jackson, Libraries and Librarianship in the West: A Brief History (New York: McGraw-Hill, 1974), 29; and Elmer D. Johnson, History of Libraries in the Western World, 2nd ed. (Metuchen, NJ: Scarecrow, 1970), 77-79. The leading theorist on cultural reproduction is French scholar Pierre Bourdieu. For entry into Bourdieu, see Richard Harker, Cheleen Mahar, and Chris Wilkes, eds., An Introduction to Pierre Bourdieu: The Practice of Theory (New York: St. Martin's, 1990). For theories of community applicable to Christianity and potentially librarianship, I suggest the work of Josiah Royce. See Josiah Royce, The Philosophy of Loyalty (New York: Macmillan, 1908); The Problem of Christianity, 2 vols. (New York: Macmillan, 1913); The Hope of the Great Community (New York: Macmillan, 1916); and James Harry Cotton, Royce on the Human Self (Cambridge MA: Harvard University Press, 1954). See also William F. Birdsall, "Community, Individualism, and the American Public Library," Library Journal 110 (1 November 1985): 21-24; and Peter Riga, "Towards a Theology of Librarianship," Catholic Library World 34 (May-June 1962): 542-44, 583-84.

  10. Johnson, 88-89, 93-94.

  11. Lawrence J. McCrank, "Medieval Libraries," in Encyclopedia of Library History, edited by Wayne A. Wiegand and Donald G. Davis, Jr., (New York: Garland, 1994), 425.

  12. Jackson, 37-41; Johnson, 112-13, 117; Anne L. Buchanan, et al., "Collection Development," in Encyclopedia of Library History, 153-64; and John Edwin Sandys, A History of Classical Scholarship from the Sixth Century B. C. to the End of the Middle Ages, 3 vols. (Cambridge: Cambridge University Press, 1906-08), 1: 265. See also James Westfall Thompson, The Medieval Library (Chicago, IL: University of Chicago Press, 1939) and Karl Christ, The Handbook of Medieval Library History, rev. by Anton Kern, translated and edited by Theophil M. Otto (Metuchen, NJ: Scarecrow Press, 1984).

  13. Geddes MacGregor, The Bible in the Making (Philadelphia: J. B. Lippincott, 1959), 16-17, 63-67, 206-07; Frederick C. Grant, Translating the Bible (New York: Nelson, 1961): 27; F. F. Bruce, The Books and the Parchments: Some Chapters on the Transmission of the Bible, 3rd rev. ed. (Westwood, NJ: Fleming H. Revell, 1963), 183; and Ernest Cadman Colwell, The Study of the Bible, rev. ed. (Chicago: University of Chicago Press, 1964), 83-85.

  14. Buchanan; McCrank, 423; and Sandys, 1: 258-60.

  15. Johnson, 120; and Olaf Pedersen, The First Universities: Studium Generale and the Origins of University Education in Europe, translated by Richard North (Cambridge: Cambridge University Press, 1997), 97, 102, 130.

  16. Alan Cobban, English University Life in the Middle Ages (Columbus, OH: Ohio State University Press, 1999), 149-65.

  17. Johnson, 136.

  18. O. Lee Shiflett, "Academic Libraries," in Encyclopedia of Library History, 5.

  19. Susan Otis Thompson, "Printing and Library Development," in Encyclopedia of Library History, 507-10; and Richard W. Clement, "Renaissance Libraries," in Encyclopedia of Library History, 546-53. The major works on the role of the invention of printing in the expansion of social and intellectual life (that provide, as well, an overview of the Renaissance and Reformation) are by Elizabeth L. Eisenstein, The Printing Press as an Agent of Change: Communications and Cultural Transformations in Early Modern Europe, 2 vols. (New York: Cambridge University Press, 1979); and the Printing Revolution in Early Modern Europe (New York: Cambridge University Press, 1993). Organizations devoted to missionary service, Bible and tract distribution, and Sunday school development further enhanced literacy in Europe and North America creating a greater desire for school and public libraries. Some of these organizations are discussed in Donald G. Davis, Jr., David M. Hovde, and John Mark Tucker, Reading for Moral Progress: 19th Century Institutions Promoting Social Change, GSLIS, University of Illinois Occasional Papers 207 (February 1997): 1-70.

  20. Donald G. Tewksbury, The Founding of American Colleges and Universities Before the Civil War (New York: Columbia University Teachers College, 1932), 69, 120-22. See also Louise L. Stevenson, Scholarly Means to Evangelical Ends: The New Haven Scholars and the Transformation of Higher Learning in America, 1830-1890 (Baltimore, MD: Johns Hopkins University Press, 1986); and George M. Marsden, The Soul of the American University: From Protestant Establishment to Established Nonbelief (New York: Oxford University Press, 1994); and ARL Statistics 1997-98 (Washington, DC: Association of Research Libraries, 1999), 55.

  21. Although Christians continue to succeed at building communities, Christian institutions that substantially incorporate libraries tend not to influence the literate classes as during the Roman Empire. Christian thought and library development in contemporary life come together most obviously in graduate theological seminaries and in undergraduate church-related colleges. See George M. Marsden and Bradley L. Longfield, eds. The Secularization of the Academy (New York: Oxford University Press, 1992). For an understanding of the complexities of building a sense of community in contemporary American society, see Robert N. Bellah, et al., Habits of the Heart: Individualism and Commitment in American Life: Updated Edition with a New Introduction (Berkeley, CA: University of California Press, 1996). See also Susan Curtis, The Social Gospel and Modern American Culture (Baltimore, MD: Johns Hopkins University Press, 1991).

John Mark Tucker

Bibliothèques de l'université de Purdue
West Lafayette, Indiana, USA

L'influence de la foi chrétienne sur la croissance et le développement des bibliothèques commence avec la nature de Yahvé, le Dieu de la Bible. En décrivant à grands traits les caractéristiques de Yahweh, nous commençons à comprendre le cadre conceptuel à partir duquel les bibliothèques en sont venues à exister, en tant qu'institutions intellectuelles, physiques, spirituelles et sociales. Compte tenu des limites imparties à cet exposé, je restreindrai mes remarques à certains thèmes, à des idées qui mériteraient une exploration plus approfondie.

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