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   64th IFLA General Conference
   August 16 - August 21, 1998

 


Code Number: 173-129-F
Division Number: -
Professional Group: Guest Lecture III
Joint Meeting with: -
Meeting Number: 129.
Simultaneous Interpretation:   Yes

"La liberté d'expression et l'accès à l'information dans le contexte conflictuel Algérien"

Ahmed Ancer
Journaliste Algérien


Paper

Quelques points de repère.

L'Algérie vit une situation d'instabilité depuis le 05 octobre 1988. Les luttes politiques opposant les deux courants qui se partageaient en ce moment le pouvoir au sein du parti unique (FLN), se sont transformées en affrontements lorsque les factions en compétition ont recouru, chacune de son côté, à l'implication de la population. Au moins quarante villes, les plus importantes du pays, ont été le théâtre d'émeutes violentes pendant deux semaines. Ces événements ont abouti, le 23 février 1989 sur un nouveau dispositif constitutionnel qui a instauré le pluralisme politique ainsi que les liberté fondamentales.

Mais la nouvelle constitution fut violée moins d'une année après son adoption: Chadli Bendjedid, le président de la république de l'époque, tenté par un régime inspiré du modèle soudanais, reconnut la création des partis islamistes en septembre 1989. L'instabilité et la violence furent alors relancées. Aidés par les conservateurs du FLN et certains pays du golfe, Les fondamentalistes, rejetant les règles de la démocratie se sont lancés à la conquête du pouvoir avec pour objectif d'éliminer de la scène politique tous les acteurs qui n'épousent pas leur vision du monde.

L'armée basant son intervention sur les craintes des classes moyennes provoquées par les velléités hégémoniques des islamistes, reprit le pouvoir au lendemain des élections législatives de décembre 1991 qui donnaient le Front islamique du salut (FIS) largement gagnant. Le coup d'Etat généralisa les affrontements qui sont devenus armés à partir de 1992. Ces derniers se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Quels sont les mécanismes de fonctionnement de l'information dans ces conditions de conflit ? Comment les acteurs politiques et sociaux exercent-ils leurs droits à la liberté d'expression et d'accès à l'information dans ce contexte d'affrontement qui couvre maintenant une décennie entière ? Quel a été le sort des professionnels de l'information qui bien sûr se sont retrouvés d'une manière ou d'une autre impliqués dans les soubresauts et les transformations de la société ? Pour répondre à ces questions j'estime qu'il est nécessaire de distinguer deux périodes.

La première période de ce conflit, c'est à dire d'octobre 1988 à décembre 1991 est uniquement politique. Nous pouvons la considérer comme un moment de rupture avec le régime du parti unique. Depuis 1962, ce dernier a régné en maître absolu ne tolérant aucune forme de contestation. Jusqu'à octobre 1988, l'information est généralement dominée par la propagande et la population n'a droit qu'aux nouvelles que veulent bien autoriser les dirigeants du pays. Tous les médias appartiennent à l'Etat fonctionnent sous un contrôle très strict du pouvoir. Des écrivains, y compris parmi eux des militants du parti au pouvoir et, même des scientifiques ont été obligés de s'expatrier ou de faire publier leurs oeuvres et créations à l'étranger.

La deuxième période est marquée par la naissance de l'opinion suite à l'adoption de la constitution de février 1989. L'aspect méritant le plus d'attention est l'apparition de la presse indépendante du pouvoir, en 1990. Les journaux privés ont en effet été un outil appréciable pour la promotion et la défense des libertés fondamentales (opinion, expression, pluralisme, liberté de conscience). Durant cette dernière phase de l'histoire du pays, les médias sont devenus un sujet d'affrontement entre les acteurs de la scène politique. L'accès à l'information ne dépend plus uniquement du bon vouloir des dirigeants du pays. Cependant si les journalistes se sont libérés des pesantes tutelles l'évolution ne se fait pas sans problèmes.

Le pouvoir contre la mémoire

Les événements d'octobre 1988 sont la traduction de l'exacerbation de la crise du régime du parti unique. Ils ont été, également, le moment où le FLN et l'armée ont poussé la logique totalitaire jusqu'à ses limites les plus extrêmes. Tous les médias ont tout simplement été paralysés. La censure, déjà très sévère, est devenue totale lorsque les signes annonciateurs de l'événement avaient commencé à se manifester. Aucun journal n'a consacré ne serait-ce qu'un mince filet à la rumeur persistante qui s'était répandue depuis une quinzaine de jours, faisant état du déclenchement d'une grève générale dans tout le pays. On ne trouvera pas de trace d'information sur les arrestations de dizaines de militants du Parti de l'avant garde socialiste (le PAGS, communiste) qui furent enlevés de nuit de leurs domiciles et mis au secret une semaine auparavant (à partir du 27 septembre).

L'étudiant désireux d'effectuer un travail de recherche, le journaliste voulant, quelques années après, revenir sur les événements, l'historien ou tout autre intellectuel s'intéressant à cette courte mais bouillonnante période de l'histoire de l'Algérie, devront mener leurs investigations ailleurs que dans les journaux édités pendant la durée des troubles. On ne trouvera dans la presse diffusée durant ces deux semaines que les communiqués officiels rendus publics par le commandement militaire.

Par ailleurs on cherchera en vain, quelques images dans les archives de la télévision montrant les émeutes telles qu'elles se déroulaient. Lorsque ce média diffusera des images, tout le monde comprendra que celles-ci ont été prises, à l'aide d'hélicoptères par des spécialistes des services de sécurité qui mettaient en évidence uniquement le vandalisme et les destructions auxquels s'étaient adonnés les jeunes émeutiers. On ne trouvera également pas de photos. Elles ont été récupérées d'autorité du fond documentaire de l'Agence de presse et d'information (API) spécialisée dans le reportagephoto. Cette agence a disparu quelques années plus tard. La documentation photographique qu'elle a léguée est actuellement très difficile d'accès.

Les journalistes du quotidien gouvernemental de langue française El Moudjahid, réunis le samedi 15 octobre, font un bilan amer sur l'absence de l'information durant ces jours troubles: "Dans le prolongement des récents événements dramatiques qu'a connu notre pays, il a été déploré le vide informatif caractérisé, ressenti comme une humiliation par les gens du métier" 1 .Les journalistes de tous les médias sont bien allés sur les lieux des affrontements, beaucoup d'entre-eux, réagissant comme le leur dictait leur profession, étaient revenus à leurs rédactions avec des articles mais, aucun ne fut publié.

Les responsables des médias, nommés toujours par les autorités et, souvent très zélés, ne pouvaient reprendre que les communiqués officiels qui appelaient au calme ou insistaient sur la maîtrise de la situation par les forces de l'ordre. Les Algériens comme d'ailleurs les observateurs de la scène algérienne n 'avaient d'autres choix que de suivre l'évolution des événements à travers les commentaires ou les informations rapportées par les télévisions et les radios étrangères alimentées principalement par l'Agence France Presse (AFP).

C'est d'ailleurs vers ces médias étrangers que ministres et autres responsables de l'époque, s'étaient tournés pour s'exprimer ou tenter d'influer sur les faits. Ce n'est qu'au 6eme jour des émeutes (le 10 octobre) qu'une centaine de journalistes ont pu se ressaisir et organiser au centre d'Alger une assemblée à l'issue de laquelle, ils adoptèrent la première déclaration non officielle sur ce qui se passait dans le pays. Le texte, remis à l'AFP, informait l'opinion que les journalistes étaient, "(...) interdits d'informer objectivement des faits et événements qu'a connu le pays (...)" et dénonçait "l'utilisation tendancieuse qui a été faite en ces circonstances graves des médias nationaux et ce, au mépris de toute éthique professionnelle et du droit élémentaire du citoyen à l'information". Après les permanents de l'Agence France Presse qui avaient couvert le déroulement des affrontements avec beaucoup de courage, c'est le Mouvement des Journalistes Algérien (le MJA), une organisation autonome très combative, apparue huit mois plutôt qui a ainsi osé se saisir de la parole pour dénoncer publiquement le comportement sanglant du pouvoir et des forces de sécurité.

Pour reconstituer le déroulement de ces événements tragiques le chercheur devra recourir à la documentation produite en dehors des moyens d'information officiels: les archives du PAGS, celles des hôpitaux Si elles n'ont pas été saisies et détruites par les services de sécurité, les quelques déclarations du MJA et les témoignages des citoyens parce que la presse ne sera que de peu d'utilité dans ce cas précis. Le comité de mobilisation contre la torture a dans ce cadre fait oeuvre utile en publiant "Le Livre Noir d'Octobre" qui contient des dizaines de témoignages très détaillés sur la pratique de la torture.

L'accès à l'information, un combat toujours renouvelé.

A la fin du mois d'octobre 1988, 500 journalistes d'Alger ainsi qu'un grand nombre d'artistes, d'écrivains et autres intellectuels participent à une rencontre organisée par la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH) et le Mouvement des journalistes algériens pour élaborer un rapport sur "les carences et les dérives de l'information". Cette manifestation fait partie d'une très longue série d'actions menées tout au long de l'année 1988 par les journalistes qui exigeaient plus de liberté d'expression. Les événements d'octobre les ont confortés dans leurs revendications.

La nouvelle constitution adoptée le 23 février 1989 consacre la liberté d'expression. Elle sera mise en application par une loi sur l'information plus libérale adoptée par le parlement (l'Assemblée Populaire nationale) en avril 1990. Même si celle-ci est abondamment critiquée par les professionnels de l'information, elle n'en constitue pas moins une très grande évolution par rapport à la législation antérieure. Les partis politiques, d'abords, puis des collectifs de journalistes créent des publications indépendantes du pouvoir consacrant ainsi la naissance de l'opinion, de la liberté de presse et d'expression.

Cependant les partisans des libertés fondamentales ne sont pas au bout de leurs peines. De nouveau, le climat politique se dégrade sérieusement à la suite des premières élections communales de juin 1990 et des législatives de décembre 1991. Les islamistes qui ont renforcé leur position manifestent violemment leur rejet de la démocratie et de tous ses corollaires. Une partie de la hiérarchie militaire est également hostile au processus de démocratisation. La circulation de l'information, la liberté de presse et d'expression deviennent alors l'un des enjeux parmi les plus importants à un moment où le conflit politique se transforme en affrontement arme.

Les armes contre la parole

En effet, en 1992, s'ouvre pour les journalistes algériens la plus terrible des périodes. Ils sont pris entre le marteau et l'enclume. Les islamistes dressent des listes de femmes et d'hommes des médias, leur promettant de "périr par le fil du sabre" et les autorités leur ouvrent les portes des prisons à la suite de la publication de tout article ne plaisant pas aux personnalités du régime.

On en est arrivé là parce que les deux pouvoirs dominant la société algérienne, les islamistes qui entendent mettre sur pied une théocratie et les gouvernants qui rêvent de perpétuer le totalitarisme, ont vu dans les libertés fondamentales (liberté de pensée, de croyance, de presse, d'expression) une sérieuse menace sur les plans d'hégémonie qu'ils préparaient pour l'Algérie. En cinq ans, près de 80 personnes employées par les médias dont 60 journalistes, ont été assassinés par les islamistes et 03 sont portées disparues (l'espoir de les retrouver vivantes est dorénavant considéré comme nul). Une précision s'impose à ce propos: les journalistes n'ont pas été la seule catégorie professionnelle à servir de cible aux islamistes. Toutes les couches sociales ont souffert de l'action des groupes armés du FIS qui ont mené une véritable politique d'épuration des élites intellectuelles scientifiques et techniques en égorgeant des centaines d'enseignants, d'hommes de culture, des médecins ou des cadres techniques, avec l'objectif évident de vider le pays de sa sève et par conséquent de ses capacités de réflexion et de résistance.

En effet les idées de démocratie et d'ouverture sur le monde ont été justement portées par des courants minoritaires dans la société qui se recrutent dans ces élites. Un immense débat touchant à tous les aspects de la vie et de la pensée s'est ouvert à la suite de la révolte populaire du 05 octobre 1988 et a abouti sur un premier résultat, limité certes, mais encourageant: la constitution du 23 février 1989 contenait des dispositions favorables au développement des libertés. On notera pour l'exemple que jamais la question de la laïcité n'a été abordée ouvertement en public jusqu'au début des années 90. La nouvelle constitution ne lui consacre aucune disposition mis le débat a lieu quand même grâce à l'émergence de la presse privée qui a ouvert ses colonnes à des points de vue portant sur des questions considérées jusque là comme des tabous. Lorsque cette presse, vecteur par excellence de la promotion des libertés fondamentales a commencé à devenir une réalité à partir de l'année 1991, les courants conservateurs, constitués l'un par de larges franges de l'ex-parti unique, le Front de Libération National (FLN) et l'autre, par la mouvance islamiste, prirent peur d'une telle évolution et les attaques contre les intellectuels firent leur apparition. Les objectifs des milieux conservateurs ont été en partie atteint puisque l'on estime à environ 500.000 le nombre des Algériens qui ont quitté le pays. Il y a lieu de préciser que cet exil forcé à surtout touché les élites. Aujourd'hui, les universités, les hôpitaux, la presse et tant d'autres secteurs souffrent d'un déficit en encadrement dont les conséquences sont douloureuses.

Concernant plus précisément la presse les islamistes l'accusent d'être inféodée au pouvoir. Ils ont commencé par exercer une pression psychologique sur les rédactions: appels téléphoniques très fréquents, abondant courrier contenant des messages menaçants nominatifs ou s'adressant aux collectifs et enfin mise en circulation de listes de journalistes condamnés à mort. Le 17 mai 1993, un commando composé de 03 terroristes tire sur Omar Belhouchet, le directeur du quotidien privé El Watan mais échoue dans sa tentative d'assassinat. Dix jours plus tard, le directeur de la rédaction, de l'hebdomadaire Ruptures, l'écrivain-journaliste, Tahar Djaout est abattu de deux balles dans la tête. Il décède le 02 juin après une semaine de coma. La série est désormais ouverte; elle sera très longue et les bilans plus lourds d'année en année: 09 en 1993, 18 en 1994, 25 en 1995 et 08 en 1996. Les assassinats, d'abord concentrés à Alger ne tardent pas à faucher les correspondants des médias algérois ainsi que les journalistes des titres régionaux. De plus les autres catégories de travailleurs des médias sont aussi ciblées: plus de 20 victimes entre 1993 et 1997, sans compter les blessés. Il a été, en outre enregistré deux attaques contre les locaux des médias: l'Hebdo libéré avec armes de point et la maison de la presse où une partie des bâtiments ont été détruits en plus des trois journalistes du Soir d'Algérie tués sur le coup. Les traumatismes sont profonds: Merzak Baktache (écrivain-journaliste arabophone) est resté alité pendant de très longs mois, la mâchoire fracturée par la balle qui lui avait traversé la nuque. Le choc a causé une terrible maladie à Belhouchet. Kitoun, le directeur du quotidien l'Indépendant a fini par s'exiler avec un corps marqué par plusieurs cicatrices dues aux balles des islamistes.

Si les islamistes n'ont pas hésité à recourir à un radicalisme meurtrier, les autorités n'ont pas de leur côté ménagé cette même presse. Le pouvoir a eu une attitude ambivalente à l'égard de la presse indépendante. Il avait besoin d'elle pour se donner une image de marque favorable à l'extérieur et il voulait en même l'asservir afin d'en faire une profession aux ordres. Au moins quarante cinq journalistes dont certains subirent des sévices, ont déjà séjourné dans les prisons durant des périodes allant de 24 heures à plusieurs mois. Depuis l'été 1992, les journaux privés font face presque quotidiennement, à une extraordinaire adversité (intimidations, pressions économiques et financière, harcèlement judiciaire, suspensions, monopole étatique sur les imprimerie, discours virulents, prononcés par des membres des gouvernements qui se sont succédés). On comprendra aisément pourquoi un très grand nombre de journalistes se sont exilés, préférant la malvie à l'étranger plutôt que de continuer à vivre une situation aussi dure.

Ceux qui sont demeurés sur place opposent un résistance acharnée. Il est évident que les conditions d'exercice du métier d'informer sont plus difficiles que durant les années 1990 et 1991. Les journalistes ne peuvent pas par exemple réaliser des reportages dans toutes les régions du pays parce que les risques sont trop grands. Le professionnel qui tombe entre les mains des islamistes armés est à coup sûr un homme mort. De plus, il n'est pas aisé de se déplacer librement à cause de l'attitude des forces de l'ordre qui ne tolèrent pas la présence des médias sur les lieux des opérations. Sur le plan réglementaire, les autorités se sont dotées de textes, souvent anti-constitutionnels, qui leur permettent de réprimer la presse au cas où les publications dérangent le régime. Le gouvernement a instauré l'imprimatur de 1993 à 1997 pour contrôler les journaux à leur sortie des imprimeries comme il a utilisé le monopole sur la publicité et sur l'importation du papier comme moyen de pression et souvent de chantage sur les publications.

Les bibliothèques en Algérie

A propos du sujet qui vous intéresse au premier chef aujourd'hui, c'est à dire de la situation des bibliothèques, je ne dirai que quelques mots. Elles sont concernées au même titre que la presse ou l'édition par l'état dans lequel s'exercent les libertés. L'actuel conflit que vit l'Algérie est différemment présent dans les bibliothèques algérienne selon qu'il s'agisse de la première ou de la deuxième période que j'ai évoqué. Jusqu'en 1989, à moins d'un travail d'investigation et de collecte de la documentation auprès des citoyens, des associations et des partis politiques, les bibliothécaires algériens ont peu d'information à offrir sur ces débuts du conflit.

Les racines du mal sont en réalité plus profondes: la situation des archives et des bibliothèques n'a jamais été bonne. L'héritage laissé par la colonisation est assez maigre parce que jusqu'à la moitié des années cinquante, les autorités coloniales considéraient que les Algériens n'avaient pas besoin d'instruction. Elles avaient en conséquence maintenu fermées les portes des écoles devant la masse des musulmans. A la rentrée 1962-63, l'université algérienne n'avait que 2800 étudiants-candidats à l'inscription. L'implantation des bibliothèque était donc circonscrite aux villes à forte concentration de population européenne et leurs fonds documentaires étaient destinés exclusivement aux besoins du système colonial.

Après l'indépendance les dirigeants algériens n'ont pas accordé assez d'intérêt, voire dans certaines régions pas du tout, aux bibliothèques d'autant plus que la gestion des communes est passée en 1968 sous la tutelle du parti unique. A partir de ce moment, le FLN n'étant pas favorable à l'élévation du niveau culturel de la population, une dégradation lente mais continue a encore réduit le patrimoine existant: les bâtiments ne sont plus entretenus et les fonds documentaires négligés. Ils ont été détruits dans de nombreux cas. Les bibliothèques communales des villes les plus modestes qui n'ont plus ni argent ni personnels ne reçoivent le plus souvent que les publications de propagandes du parti ou les reliures des discours officiels. En vérité tous les secteurs culturels ont été affectés par des comportements peu soucieux de la préservation de la mémoire collective du peuple algérien. Des églises, des synagogues, des bâtiments de valeur ont été rasés ou laissés à l'abandon et d'autres ont subit des transformations peu respectueuses de l'histoire du pays.

Seules les grandes métropoles du pays sont arrivées à maintenir fonctionnelles, avec beaucoup de difficultés, leurs plus importantes bibliothèques. On relèvera cependant quelques aspects positifs dans les années 70. Dans les universités, particulièrement sous l'impulsion du ministre de l'enseignement supérieur Mohamed Seddik Benyahia, le secteur de la bibliothèque est pris en charge avec sérieux. L'université s'ouvre à la formation des bibliothécaires avec la création de la filière "bibliothéconomie" et des efforts conséquents sont déployés pour améliorer les fonds documentaires.

Dans les campagnes, la réforme agraire a été accompagnée d'un programme de construction de 1000 villages et dans chacun était prévue un établissement culturel polyvalent qui comportait au moins une salle de lecture. Ce programme qui accordait pour la première fois depuis des siècles de la considération pour les campagnes a été abandonné au début des années 80, dès la mort de son initiateur, le président Boumédiène. Il est à signaler cependant que si le régime Boumédiène avait été à l'origine de programmes positifs: généralisation de l'enseignement, soutien du prix du livre, financement de l'activité culturelle etc, il ne permettait aucune liberté d'expression et de circulation de l'information. Les résultat de son action ont été de peu d'impact, la liberté étant à la base de toute créativité et de tout enrichissement culturel.

A partir de 1980 au moment où les recettes pétrolières s'étaient considérablement élevées, le régime algérien a abandonné toutes les mesures de soutien à la promotion de la culture tout en accentuant son emprise sur les libertés fondamentales. Les quelques gains réalisés par l'université dans les années 70 seront rapidement délapidés. On assistera même à des démarches destructrices: L'institut des sciences politiques et l'université d'Alger-centre disposaient de très bonnes bibliothèques bien approvisionnées et qui fonctionnaient selon les règles du métier. Elle ne sont maintenant que l'ombre d'elles-même. Il ne s'agit pas là d'une exception: des centaines de bibliothèques algériennes sont dorénavant dans un état déplorable. Tous ces établissements, qu'ils soient publics, scolaires ou universitaires sont sanctionnées par le manque d'argent parce que la culture, la science et la formation ne font pas partie des préoccupations des régimes qui se succèdent depuis deux décennies. Je préciserait enfin que la situation des bibliothèques algériennes ne s'est pas améliorée durant ces dix dernières années. Mon journal, le quotidien El Watan leur a consacré deux dossiers durant ces dernières années. Le constat demeure le même: une situation mauvaise.

Notes

  1. Declaration du collectif des journaliste d'EL Moudjahid- 15 octobre 1988 (archives de l'auteur)