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   64th IFLA General Conference
   August 16 - August 21, 1998

 


Code Number: 044-114-F
Division Number: VI.
Professional Group: Preservation and Conservation
Joint Meeting with: -
Meeting Number: 114.
Simultaneous Interpretation:   No

Le papier permanent : une idée raisonnable

Rolf Dahlø
Riksbibliotekjenesten
Oslo
Norway


Résumé :

Le papier permanent est le terme par lequel les bibliothécaires et les archivistes désignent le support matériel capable de conserver pendant une longue durée de l'information. L'instabilité dans le temps du papier est devenu un problème dès lors que le papier industriel a remplacé le papier de fabrication traditionnelle apte à perdurer. Avec le papier industriel, une menace inhérente au support, venait s'ajouter à toutes les menaces d'origine exogène susceptibles d'effacer nos archives. O Combien de bibliothécaires ont pu constater de leurs propres yeux les effets de cet effritement du papier. Ce sont de telles expériences qui ont permis d'organiser, dans les années 1980, une campagne internationale de sensibilisation et d'information du public envers les méfaits du papier acide.

Comment freiner l'augmentation exponentielle du nombre des documents nécessitant, à peine entrés dans les collections, un traitement de conservation ?
C'est ce dernier défi, à savoir de réduire les besoins en conservation des documents en papier, prévisibles en l'état actuel des connaissances, qui est au fondement des recherches internationales sur le papier permanent. Le fait, certes attristant, que les matériaux organiques se dégradent tôt ou tard relève du simple constat. Néanmoins, ce phénomène de dégradation prend une tout autre signification selon qu'il devient visible à l'oeil nu au bout d'une décennie, de plusieurs décennies, d'un siècle, d'un millénaire ou d'une plus longue période encore.

Les papier peuvent bien continuer, indéfiniment, à s'autodétruire si nous nous fixons la perspective irréaliste de les préserver pour des millions d'années. Ce qui importe aux institutions patrimoniales c'est de pouvoir disposer, des conditions normales de stockage, d'un support stable de conservation de l'information à l'échelle de quelques décennies, quelques siècles voire quelques millénaires. La dégradation du papier dans un laps de temps aussi court que la décennie ou le siècle ne devrait pas être considéré comme l'horizon indépassable d'un processus organique de destruction inéluctable. La diffusion de l'usage de papiers permanents est un bon moyen de retarder la disparition fatale des futures publications. Le qualificatif de "permanent" ne devrait pas, concernant le papier, être interprété comme désignant une durée infinie. Ce terme n'est en aucun cas synonime de "pérenne" ou "éternel". Il renvoie à la capacité du support à demeurer chimiquement et physiquement stable sur de longues périodes. Le papier permanent ne subit ainsi que peu ou pas du tout de changement quant à sa solidité ou ses qualités optiques. Cette stabilité rend possible son utilisation dans le cadre des bibliothèques, des archives ou d'autres lieux de conservation constituant des environnements protégés. Le problème de la définition des normes techniques pour la permanence du papier demeure cependant controversé.

Durant ces dernières années, de nombreux fabricants sont parvenus à améliorer les qualités de conservation du papier. Certains d'éditeurs ont adopté une politique raisonnée, employant du papier permanent pour les livres destinés à devenir des ouvrages de référence pour les bibliothèques. Si un livre imprimé en Europe contient des illustrations, un éditeur aura presque toujours recours au papier permanent. Si un livre contient uniquement du texte, l'éditeur imprimera le plus souvent sur un papier qui ne répond pas aux critères de permanence telles qu'elles sont définies par la norme ISO 9706.


Paper

"Papier permanent" est le terme utilisé par les bibliothécaires et archivistes pour désigner un support matériel de l'information destiné à durer longtemps. Le papier résulte d'une étonnante invention, survenue en Chine voilà moins de 2000 ans. Il a fallu plus d'un millénaire avant que l'art de la papéterie ne soit pratiqué en Europe, et quelques uns de nos prédecesseurs dans les bibliothèques ont déploré le remplacement du parchemin par ce nouveau moyen, plus commode, de stockage de l'information. Les papiers traditionnels étaient consitués de fibres naturelles faciles à dissocier et à reassemblée en une feuille. Les substances utilisées dans les procédés de fabrication anciens procuraient à ces papiers les propriétés nécessaires à leur survie. A cette époque, les menaces de destruction de l'information restaient donc essentiellement externes.

Durant le XVIIIème siècle, l'approvisionnement en fibres naturelles convenant à la fabrication du papier traditionnel ne suffît plus à répondre à une demande croissante en Europe et, au delà, dans le Monde occidental. Au au XIXème siècle, le savoir-faire tradionnel des papetiers fut bouleversé par l'apparition d'un mode de production industriel s'appuyant sur des méthodes plsu violentes de défribrage, sur de nouvelles sources d'approvisionnement en fibres, et sur le remplacement de l'encollage à la colle animale et aux gommes végétales par l'encollage à l'alun et au colophane. Les papiers traditionnels devinrent des articles de luxe au côté des papiers modernes consitués de pulpe mécanique et encollé à l'acide, moins onéreux et moins durables. Ces papiers industriels représentent une véritable boite de Pandore, cadeau empoisonné de la révolution industrielle : ils ont engendré par leur instabilité une menace permanente pour les informations produites à partir de ces années là. Il y a plus d'un siècle déjà, certains de nos prédecesseurs, conservateurs et archivistes, comprirent que ces nouveaux papiers contenaient des germes d'auto- destruction. Dès avant l'apparition de la technique du microfilmage, un bibliothécaire norvégien s'enquit de la possibilité de produire des exmeplaires sur papier de qualité à partir des journaux quotidiens, mais il est à craindre que le prix en était déjà, en ces époques lointaines, prohibitif.

La notion de "papier permanent" est surtout importante pour ceux des pays du monde qui peuvent se soucier de la préserver la mémoire de l'humanité. Cette constation me semble justifier, que le lecteur me le permette, des éclaircissements sur les raisons de mon implication dans ce débat.

Enfant, un livre ancien était tout naturellement à mes yeux un livre du siècle dernier et j'acceptais comme inévitable que les papiers du XIXème siècle soient jaunâtres et moins solides que les papiers d'une blancheur immaculée du siècle dans lequel je m'apprétais à grandir. Je me souviens, comme si c'était hier, du jour où, pour la première fois, j'ai ouvert un livre imprimé au XVème siècle. Cet incunable n'avait pas eu la chance de conserver sa reliure d'époque et avait été revêtu d'une couverture en carton récente, mais le corps de l'ouvrage nous était parvenu dans une condition impeccable. Ma première impression fut que le bibliothécaire m'avait remis un fac-similé moderne dans le souci d'éviter toute usure et toute manipulation hasardeuse d'un objet aussi précieux. Toutefois, un examen attentif acheva de me convaincre qu'il s'agissait bien de l'une des productions du premier siècle de l'imprimerie. Le travail de cinq siècles avait laissé le papier en parfait état. Il me vint alors à l'esprit que l'histoire du livre avait connu une bien curieuse inversion. Les incunables paraissaient comme neufs tandis que les imprimés les plus récents semblaient défigurés rapidement par la métamorphose de leur couleur et de leur odeur.

En 1971, je travaillais au département des manuscrits de la Bibliothèque universitaire d'Oslo, alors Bibliothèque nationale de Norvège. Je fut alors chargé d'organiser une exposition célébrant le centenaire d'un auteur norvégien et je m'efforçai de collecter quelques illustrations congruentes dans un journal satirique du début du XXème siècle. Ce dernier constituait sans nul doute un témoignage majeur de la vie culturelle en Norvège. Pourtant, l'exemplaire de dernier recours conservé à la Bibliothèque nationale était en piètre état. Ces pages, imprimés 60 ans plus tôt seulement, dégageait une odeur acide et se brisèrent dès que je tentai, avec d'infinies précautions, de les tourner. Une seconde expérience traumatisante survint à l'occasion du reclassement de la correspondance d'un écrivain norvégien de premier ordre. Ces lettres avaient été montées 40 ans plus tôt dans des albums acides, en pâte mécanique. Je dus constater les effets de la migration de l'acidité du papier moderne à travers le papier à lettre ténu du siècle précedent. Seules la première et la dernière page avaient jauni contrairement au reste de ces précieux autographes resté intact. L'acidité du papier de montage avait accompli son œuvre destructrices. Les restaurateurs avaient à cette époque vulgarisé le terme de "papier sans acide" et je pm'adressai à ces spécialistes afin de munir les manuscrits de pochette en papier neutre. Alors que nous utilisions du papier neutre pour alimenter les machines à photocopier, nous avions omis de doter les manuscrits les plus précieux d'une protection équivalente. Après quelques discussions, l'usage des pochettes sans acide fut rendu systématique. Jamais, cependant, je ne devais oublier ces expériences cuisantes et je devins, au plan international, un fervent défenseur de la protection des sources manuscrites et imprimées de notre culture.

Dans les années 1980, des bibliothécaires lancèrent, ici et là, des campagnes de sensibilisation du public au problème de l'effritement des livres. Certains collègues en Europe se répandirent en d'innombrables anecdotes à propos de pots à confiture remplis de minuscules fragments de papier tombés des étagères dans les travées. Dans ces urnes dans nouveau genre se trouvaient les vestiges du livre inconnu. Rien d'étonnant à ce que le public se soit dès lors résigné à attendre la consomption totale et prématurée de nos archives culturelles. Pour ma part, je résolus en Norvège d'aborder ce problème, certes préoccupant, sur un ton plus humouristique. Nous choisimes comme mascotte le personnage de "Bolla le Hérisson", un figure populaire de la littérature enfantine, créé par l'écrivain norvégien Alf PROYSEN et dessiné par l'artiste Normann DAHL. En 1988, cet animal devint l'emblème de la campagne "Halte aux livres acides !" menée par le Bureau national pour les bibliothèques de recherche et les bibliothèques spécialisées. Bolla le Hérisson, notre mascotte, avait de bonnes raisons de combattre ce phénomène car l'effritement du papier lui posait un problème existentiel. Il ne pouvait espérer sa survie, à l'instar d'autres créatures de la littérature enfantine, que de la conservation des papiers acides sur lesquels les épisodes de son histoire avaient été imprimés : "Qu'adviendra-t-il de moi quand mon histoire sera tombée en miettes ?" demandait Bolla le Hérisson au public. Notre message était le suivant : le papier acide s'effrite anormalement vite au passage du temps. Sa résistance diminue et il ne résiste pas au maniement qu'exige un usage même modéré. Bolla le Hérisson, ainsi que d'autres personnages aussi attachantes de la littérature mondiale méritent de connaître un sort heureux et non de retourner au néant auquel les voue l'auto-destruction du papier.

L'effritement du papier dépend de la qualité du stockage des documents car il s'agit d'un processus lent que la chaleur et l'humidité peuvent accélerer. La dégradation, lente dans les pays de climat tempéré, est plus rapide dans les climats chauds. D'aucuns trouveront sans doute ridicule et paradoxal que j'ai consacré par exemple tant d'énergie à sauver des documents britaniques remontant seulement à la seconde guerre mondiale. Découvrir, en ouvrant en 1997 précautioneusement en 1997 les registres conservés au Public Record Office, l'état avancé d'effritement de la totalité des rapports décrivant les opérations militaires spéciales de 1939, n'a pourtant rien de comique. Peu d'archives se trouvent dans un état aussi critique au bout de six décennies mais, petit à petit, bien d'autres archives de cette période seront à leur tour, réduites en fragments plus ou moins infimes, qui plongeront dans la consternation chercheurs et conservateurs. C'est que nous attendons du support papier une longévité bien supérieure à 60 ans tandis que nous ne nous étonnons guère de ne pouvoir accéder aux informations stockées il y a à peine dix ans sur les disquette informatiques avant le passage au système DOS. Les technologies de l'information se développent à toute allure si bien que les problèmes de conservation de l'information numérique prendront sans doute un jour le pas sur ceux de la dégradation du papier acide.

Comparer au microscope les types de pulpe utilisées pour le papier moderne et pour le papier traditionnel constitue une véritable révélation. Les fibres du papier artisanal et la pulpe chimique n'ont pas l'aspect fragmenté et irrégulier de la pulpe mécanique moderne. Comprendre que des fibres longues et propres confèrent au papier une plus grande solidité est un jeu d'enfant. Le bois fournit la matière première du papier moderne et non plus le chiffon. Or, seule une partie du tronc des arbres contient la cellulose convenant à la fabrication d'un papier aux fibres longues et résistantes. La lignine, sous forme de traces, ainsi que d'autres composants du bois viennent néanmoins s'ajouter aux constituants des pulpes mécaniques ou semi-mécaniques. La pulpe mécanique fait appel à des composants issus de presque toutes les parties d'un tronc d'arbre. La substitution, pour produire à bon marché des journaux quotidiens, d'une pulpe plus onéreuse à cette pulpe mécanique parait incompatible avec les contraintes de la distribution de masse. Le recyclage pourrait certes offrir une alternative mais la qualité du papier obtenu résultera des contrôles opérés au cours du recyclage. Les papiers issus de pulpes mécaniques et les papiers recyclés constituent un des extrêmes du marché de la papéterie. Une grande variété de papier s'offre à la consommation allant du papier à effritement rapide à celui capable de garder longtemps sa resistance et son éclat.

Je suis persuadé que chacun de nous a vécu sa propre expérience de la fragilité du papier et que cette expérience nous assignent deux missions principales, l'une curative, l'autre préventive. Comment préserver les documents déjà fragilisés par l'effritement du papier ? Dans de nombreux pays, notamment les pays tropicaux ou sub-tropicaux, la tâche s'avère démesurée. Comment freiner, dès lors, la croissance du nombre des documents contemporains qui exigeront demain des traitements de préservation ? Ce dernier défi, celui de la prévention et de la réduction des dépenses de préservation futures, est au coeur des réflexions pour promouvoir, au niveau international, le papier permanent.

Toute matière organique est vouée à la destruction, que cette dernière s'avère lente ou rapide. Il n'y a en revanche aucune commune mesure entre une destruction qui s'opére à l'échelle d'une décennie et celle qui s'opère à l'échelle d'un siècle ou d'un millénaire. Se fixer comme objectif une conservation à l'échelle de millions d'années n'empêchera pas le papier de se dégrader à l'infini. Ce qui importe aux usagers désireux de faire du papier un substrat durable de l'information, ce sont les nuances qui séparent un papier qui, dans des conditons normales de stockage, se conservera plusieurs décennies de celui qui se conservera plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires. La dégradation du papier en quelques dizaines ou centaines d'années n'est pas une malédiction à laquelle nous devrions nous résigner. La nature est prodigue en cellulose, composant constitutif des fibres et, partant, du substrat physique des informations alimentant nos bibliothèques et archives. Les fibres naturelles sont sources potentielles de problèmes comme de bienfaits. Traitées correctement, ces fibres s'avèrent très durables. Le malheur est que ces fibres ne sont pas toujours traitées correctement. La composition chimique des rames provoque une désagrégation précoce. A l'évidence, ce vieillissement demeure un problème primordial en ce qui concerne les papiers des XIX et XXème siècles. La dégradation du papier est un euphémisme, dans le langage des spécialistes du papier, désignant ce que tout un chacun appelle la désagrégation du papier.

Dans une perspective de conservation à long terme, le papier et d'autres supports traditionnels demeurent des média idéaux, eu égard à la volatilité relative des mémoires numériques et à l'obsolescence rapide des nouvelles technologies de l'information. Même les papiers encollé à l'acide jouissent, en principe, d'une espérance de vie plus longue que celle des supports des informations numériques. Le recours au papier permanent est l'une des voies permettant de retarder la fin inscrite dans toute matière organique. Au "Tu retourneras à la poussière" ne s'oopose pas l'épithète de "permanent" comme une promesse d'éternité. "Permanent" ne signifie pas "pérenne". La "permanence" renvoie en fait à des critères de stabilité physique et chimique dans le temps. Le papier permanent ne doit subir que peu ou pas du tout les transformations qui en compromettrait l'usage dans les bibliothèques, les archives et d'autres milieux à l'environnement contrôlé.

Définir les caractéristiques techniques exigibles d'un papier dit "permanent" n'est pas une mince affaire. L'établissement de normes obligtoires se heurte au fait qu'il n'existe pas une multiplicité de tests concurrents pour mettre en évidence la permanence du papier. Certains experts ont suggéré que la norme pourrait être basée sur de simples tests de vieillissement accéléré. Or, ces tests accélérés demandent du temps pour être mis en oeuvre. Les experts discutent encore des obstacles qui entravent la définition d'un protocole normalisé, permettant de prévoir les dégradations qui affecteront la papier dans des conditions normales de conservation et d'évaluer sa durée de vie. Rien de visible ne se produit, par exemple, lorqu'on expose des papiers à un climat de 80 degrés centigrades et à une humidité relative de 65%. Dans le cas de certains papiers contenant de la lignine, aucune perte sensible de resistance n'est observée après un test de viellissement accéléré dans un tel environnement. Les qualités optiques de ces papiers sont en revanche considérablement affectées, interdisant de qualifier ces échantillons de "papiers permanents". La plupart des dégradations ne se manifestent qu'après une exposition du papier à une température de 90 degrés centigrade et à une humidité relative de 50%.

Bien d'autres facteurs interviennent dans la désagrégation du papier. L'hydrolise acide est l'une des nombreux processus en cause. Un encollage neutre ainsi que l'ajout de carbonate de calcium dans le papier préviendra l'hydrolise génératrice d'acidité. De nombreux autres processus provoquent la décomposition du papier tels que l'oxydation, les réactions en chaîne, les changements dans la structure de la cellulose, le viellissement photo-chimiques et chimique, les attaques par des micro-organismes... Le lecteur connaît probablement mieux que moi ces processus. Chacun d'entre eux était sans aucun doute à l'oeuvre pour produire les effets que j'ai pu malheureusement observer, lorsque, en 1971, le bloc desséché et jaunâtre formé par les pages d'un journal satirique imprimé soixante ans plus tôt s'est délité entre mes mains. Mes gestes prudents n'étaient pas responsables de ces ravages mais bien plutôt un processus chimique complexe, entamé dès la fabrication. Ce papier contemporain souffrait comme une "tare de naissance" d'une faible capacité de resistance et d'une composition chimique préparant le réveil, dès la presse à imprimer, des germes d'auto-destruction.

La mise au point d'une méthode simple et rapide d'estimation de la durée de vie du papier est une vraie gageure. Nous aurons probablement à patienter plusieurs années avant que ce problème de méthodologie ne soit résolu. Nous disposons d'ores et déjà d'une méthode calée sur l'observation en temps réél de la dégradation du papier dans des conditions normales de stockage et de conservation.

L'article d'Ivar HOEL "Normes pour le papier permanent" atteste du développement des deux normes internationales en usage, la norme ISO 9706 relative au papier permanent et la norme ISO 11108 relative au papier d'archivage. Certains commentateurs pensent que la hausse de l'indice Kappa dans la norme ISO 9706 permettrait au papier à haut rendement, composé de pulpe semi-mécanique, d'être inclus dans la catégorie des papiers permanents. Un papier à encollage alcalin fabriqué à partir de ces pulpes semi-mécaniques se dégraderait plus lentement qu'un papier à encollage acide fabriqué à partir du meilleur bois. L'indice Kappa mesure la tendance à l'oxydation. Attribuer le label de papier permanent à des papiers qui ont toutes les chances de s'oxyder pose problème. La norme ne prévoit non plus aucune disposition prévenant la décoloration du papier permanent. La norme prévoyant un indice kappa de moins de 5.0, cette exigence rendait en effet inutile l'introduction de dispositions relatives aux modifications de couleur prévisibles dans un papier contenant de la lignine. Si l'indice kappa devait être augmenté, il conviendrait alors d'envisager de nouveaux critères techniques limitant la décoloration.

Un autre type de critique à l'encontre de la norme ISO 9706 s'avère d'autant plus difficile à balayer que l'on ne peut déceler derrière ce discours aucune arrière pensée liée à des intérêts commerciaux. Tout en prenant part au vote de la norme ISO 9706, certains représentants des états membres rèclamèrent de l'enrichir d'exigences supplémentaires garantissant la permanence du papier. Les traces de métaux présentes dans le papier pouvait, à leurs yeux, suffire à catalyser certains processus de dégradation et rendre ce papier à la conservation. Il se peut que la définition d'un niveau maximum de teneur en métaux du papier dit "permanent" soit utile. Je comprends ce souci tout en espérant que de plus nombreuses preuves de ces défauts possibles de la norme seront à notre disposition lorsque le moment sera venu de la révision périodique, instituée par l'Organisation internationale de normalisation pour toutes les normes qu'elle édicte.

Lorsque j'ai signé le bordereau autorisant la publication de la norme ISO 9706, j'étais plein de l'espoir que cette norme internationale de papier permanent constituerait une année "zéro" à partir de laquelle l'escalade du nombre des documents contemporains nécessitant un traitement de préservation connaîtrait un frein. J'espérais alors que de nombreux livres seraient publiés sur papier permanent, réduisant la charge de travail des prochaines générations de conservateurs. Certaines des effets positifs de l'adoption du papier permanent étaient déjà observables à l'époque où nous étions en train de préparer la norme, en coopération étroite avec des experts issus des industries et du commerce du papier. Plusieurs usines à papier en occident avaient d'ores et déjà modifié leur procédé de production, passant de l'encollage acide à l'encollage alcalin, avant même la publication de la norme ISO 9706. En Europe, presque tous les papiers de qualité peuvent être considérés comme permanents au sens de la norme internationale. Seul un moulin à papier continue à produire du papier avec du bois acide. Plusieurs des usines produisant du papier contenant de la sciure de bois ou des pulpes semi-chimiques se sont converties à l'encollage alcalin. De ce fait, la plupart des papiers occidentaux sont devenus permanents ou ont connu, à tout le moins, une amélioration de leurs qualités en tant que support de conservation, en comparaison avec les papiers à l'encollage acide produits quelques décennies plus tôt.

Ce tournant dans le commerce du papier en Europe implique-t-il que tous les livres européens sont publiés sur papier permanent ? J'aimerais pouvoir répondre par l'affirmative à cette question. Peu d'éditeurs ont adopté une politique rationelle d'usage du papier permanent pour les livres destinés à être conservés de longues années dans les bibliothèques. Pour peu qu'il soit imprimé en Europe et illustré, un livre sera presque toujours composé de papier permanent. Si un livre contient uniquement du texte, l'éditeur contentera le plus souvent de papier contenant de la sciure de bois ou de la pulpe semi-chimique. Cette attittude est sujette à variation selon les pays. En Norvège, il était d'usage, autrefois, parmi les éditeurs, d'imprimer les oeuvres de fiction sur du papier de qualité, alors que de nos jours ces éditeurs impriment les romans sur du papier médiocre. Au Danemark, en revanche, l'essentiel des fictions éditées est publié sur papier permanent. Les éditeurs danois sont-ils plus avisés que leurs confrères norvégiens ? Un grand imprimeur danois a décidé de mettre aux normes son stock de papier, si bien qu'un livre en papier médiocre lui coute plus cher qu'un livre sur papier permanent. Les éditeurs qui confient l'impression de fictions à cette imprimerie encaissent les dividendes de cette mise aux normes, dont bénéficie la plupart des parties en présence.

Il est important de nous souvenir que les décisions les plus sages ne sont pas seulement prises en considération des économies en coûts de conservation prévisibles dans un avenir lointain mais aussi dans un souci de rentabilité immédiate. Peu d'éditeurs se soucient de l'importance culturelle que pourront acquérir les produits de leurs activités commerciales tandis que la plupart d'entre eux surveillent avec attention les courbes de leurs bilans fianciers. Les industries papetières ne se sont pas détournées de l'encollage acide pour répondre aux souhaits d'une minorité préoccupée par la conservation à long terme du papier, mais bien parce que cette conversion améliorait les procédés de fabrication et réduisait une partie des dépenses courantes occasionées par les machines à papier.

Une norme n'est pas un document intangible destiné à ne jamais connaître aucune inflexion. Même une norme sur le papier permanent ne peut être considérée comme un objet fini. La notion de papier permanent portait la amrque des efforts de beaucoup de nos collègues ayant assisté impuissant à l'auto-destruction de document important pour le patrimoine. Il est, à mon avis, de la plus haute importance qu'une norme internationale sur le papier permanent puisse être acceptée avec confiance par la communauté des conservateurs et restaurateurs. Cette communauté est à même d'appréhender la nécessité de la conservation à long terme des documents en papier. Si la norme internationale sur le papier permanent est modifiée dans un sens qui lui retire le soutien de la communauté des conservateurs et restaurateurs, alors je ne vois aucune utilité à une telle norme. Si, au contraire, une nouvelle norme intègre de nouveaux acquis qui rendront plus faciles de prévoir la durée de vie des documents sur papier dans des conditions de stockage normales, je serais vraiment satisfait d'assister à la révision d'une norme qui emporte enfin l'adhésion de l'ensemble des professionnels et qui suscitent la production de meilleurs produits de la part des usines à papier du monde entier.

Dans un pays d'Europe, un homme d'esprit forgea l'expression "le bureau sans papier" pour traduire son souhait d'une nouvelle gestion, numérique, des affaires. Quelques années plus tard, cet homme devint directeur exécutif d'une des plus grandes compagnies de production de papier dans son pays. Paradoxalement, la consommation de papier connait une croissance concommittante à celle des nouvelles technologies de l'information. Je ne suis vraisemblablement pas la seule personne à ressentir encore le besoin d'imprimer mes documents de travail afin de prendre connaisssance de ce que je viens d'écrire sur mon clavier d'ordinateur. Les uns s'efforcent de trouver le moyen définitif de préserver la totalité des informations numériques tandis que les autres cherchent la solution dans la fabrication d'exemplaires de dernier recours sur papier permanent ou microfilm.

Le papier a représenté, deux millénaires durant, une ressource irremplaçable. Dans un monde en pleine mutation, il y a lieu de continuer à préserver l'information sur papier. Seule une partie des exemplaires d'un document doit être imprimée sur papier permanent. Un exemplaire sur papier permanent, conservé dans un environnement sain, est susceptible de sauvegarder l'information très longtemps. Il n'est nul besoin d'imprimer chaque document sur papier permanent, mais les seules informations que nous laisserons en héritage des générations à venir. Le papier permanent est une notion importante dans une perspective de conservation à long terme de l'information pour les générations à venir. Peut-être ces générations pourront-elles se permettre de perdre à jamais le livre de "Bolla le Hérisson", mais elles ne devront certes pas laisser disparaître des pans entiers de la littérature mondiale et tous les autres écrits et documents appellés à former les archives de l'humanité.


Traduction : Sylvie LE RAY