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63rd IFLA General Conference - Conference Programme and Proceedings - August 31- September 5, 1997

Le Discours de la Presse Professionnelle sur la Lecture des Jeunes

Suzanne Pouliot, Ph. D.

et

Monique Lebrun, Ph. D.

Université de Sherbrooke
Université du Québec à Montréal


PAPER

Liminaire

Depuis près de trente ans, trois revues professionnelles de littérature d'enfance et de jeunesse (dorénavant LITJ), éditées dans deux provinces canadiennes, le Québec et l'Ontario, ont contribué largement à construire, diffuser et enrichir le discours sur la lecture des jeunes, en allouant un espace éditorial important à la lecture, aux jeunes lecteurs ou à la lecture littéraire. Il s'agit de Lurelu (publié depuis 1978), de Des Livres et des Jeunes (1978-1995) (dorénavant DLDJ) et de Canadian Children's Literature / Littérature canadienne de jeunesse (publié depuis 1975;dorénavant CCL).

De plus, de 1970 à nos jours, trois revues pédagogiques se sont prononcées sur la lecture chez les jeunes Québécois. Il s'agit de Québec français (dorénavant QF), organe de l'Association québécoise des enseignants de français, qui commence à paraître en 1970, mais que nous analyserons à partir de 1974, de Liaisons (dorénavant LI), revue des enseignants français en perfectionnement, qui parut de 1977 à 1987, et enfin de Vie pédagogique (dorénavant VP), revue du ministère de l'Éducation du Québec, qui commence à paraître en 1978.

Nous verrons tout d'abord l'image qui se dégage de la lecture dans ces six revues. Pour ce qui est des revues de LITJ, nous serons amenées à parler tant des destinataires que du matériel édité. Quant aux revues pédagogiques, elles traitent longuement du sujet, puisqu'il s'agit d'un volet essentiel des programmes ministériels dont ces revues se font l'écho. Nous verrons, sur ce point, les buts de la lecture, la discussion sur les vrais livres par rapport aux manuels et enfin, les méthodes d'enseignement-apprentissage. Un deuxième point abordera les bibliothèques scolaires et leur corollaire, le coin de lecture; il y sera accessoirement question de bibliothèque publique. Une troisième partie, sur la lecture de loisir, tentera de caractériser la position des revues de LITJ sur le sujet et de cerner la part de la lecture libre en classe, par opposition à la didactisation. On évoquera en quatrième partie les activités d'animation du livre dans le cadre tant des classes elles-mêmes que des bibliothèques scolaires ou d'autres lieux. L'ensemble de ces thèmes, explorés sous différents angles, constitue le discours de la presse professionnelle sur la lecture des jeunes.

1. Conception de la lecture

1.1 Les revues de littérature d'enfance et de jeunesse

La conception de la lecture qui se dégage des 57 articles de LITJ repérés pour ce thème met en relief la contribution importante de la revue DLDJ (50% des articles publiés). Avec des intensités différentes, les trois revues rendent compte des diverses conceptions associées à la lecture (instruire, divertir, amuser), à la situation de la lecture chez les jeunes, à leurs besoins et intérêts, et à la promotion des auteurs francoquébécois, susceptibles de répondre aux demandes des jeunes.

Les apprentissages scolaires et les diverses expériences de lecture, vécues depuis la petite enfance, constituent différentes facettes de la conception discursive de la lecture. C'est ainsi que de nombreux auteurs s'intéressent aux raisons qui président à la lecture d'histoires aux enfants d'âge scolaire ou de l'impact de la lecture sur le développement des compétences langagières des élèves de la maternelle (Michelle Provost, Lurelu, 1978; Michelle Larue, Lurelu, 1979; Rollande Filion, Lurelu, 1990; Lambert, Gervais et Cyr, CCL, 1993; Edouard, DLDJ, 1993), ou de celles qui sont réalisées auprès des adolescents (Raymond Plante, Lurelu, 1988; Crépeau, Lurelu, 1995) qui lisent des romans.

À ce premier volet, se greffent , outre le discours sur et à l'enfance (Dominique Demers, CCL, 1994), les critères retenus pour juger de la valeur littéraire et pédagogique d'un livre pour enfants: l'humour, présent dans les albums québécois, les manifestations de l'intertextualité (D. Thaler, CCL, 1993; Lemieux, CCL, 1996) ou l'exergue comme procédé de légitimation (Claire Le Brun, CCL, 1994). C'est dans la foulée de la lecture littéraire que plusieurs auteurs admettent que si les enfants doivent lire des auteurs francoquébécois, ils reconnaissent en même temps que le patrimoine littéraire de l'enfance est sans frontières puisque l'héritage du monde entier demeure son patrimoine (Charette, Lurelu, 1986)

En conformité avec leurs orientations éditoriales respectives, Lurelu et DLDJ prennent davantage en compte les destinataires selon leur âge et leurs difficultés d'apprentissage alors que la revue CCL s'attarde surtout aux marques de légitimation littéraire.

1.2 Les revues pédagogiques

Du côté des revues pédagogiques, un discours pléthorique sur les diverses conceptions de la lecture nous oblige à scinder notre propos en trois points, à savoir les buts de la lecture, l'utilisation de manuels en lieu et place de vrais livres et enfin, les méthodes d'enseignement-apprentissage.

1.2.1 Les buts de la lecture

Discours professionnel oblige, les buts fonctionnels sont sans cesse mis de l'avant, dans les revues pédagogiques, bien qu'on ait garde toutefois d'oublier l'imaginaire et l'expressivité. Au fonctionnalisme, on relie le développement linguistique, la capacité communicative l'accroissement des connaissances, à l'expressivité, on rattache l'identification personnelle et la découverte de soi et du monde. On sent dès lors le dilemne de l'école, obligée, en tant qu'institution, de veiller au décodage, mais entraînée, par une psychologie de l'apprentissage personnaliste et par les théories de la réception littéraire, vers la lecture de plaisir.

Les trois revues font périodiquement état d'enquêtes sur la lecture ( 1978 dans QF,1981 et 1982, dans LI, 1994 dans VP) où l'on s'interroge sur les intérêts en lecture des jeunes, sur les types de livres lus par eux et le nombre d'heures qu'ils y consacrent. Au fil des pages, des enseignants viennent témoigner de la nécessité d'introduire en classe différents types de textes, particulièrement des textes littéraires tels que le conte (Françoise Dulude, LI, 1987) ou la poésie (Andrée Archambault, LI, 1987) afin de développer le goût pour la lecture

1.2.2 Les vrais livres ou les manuels

Les manuels semblent aux enseignants amants de la vraie lecture de pauvres substituts aux livres. Ce sont, dit Yves Nadon (VP, 1990, 30-32) des écrits artificiels ne correspondant ni aux goûts ni aux besoins des enfants. Ils gobent l'argent destiné aux bibliothèques scolaires. Même son de cloche chez Suzanne Francoeur-Bellavance (LI, 1980) et chez Pierre Chamberland (QF, 1978) précédemment. Pour André Mareuil (QF, 1978), les méthodes s'attardent trop aux aspects phono-graphiques et font fi de l'aptitude sémiotique des jeunes lecteurs. QF fait état de certains projets pédagogiques d'envergure, conçus à partir de vrais livres, et non de manuels, dont le projet LALA (lecture accompagnée, littérature apprivoisée (voir Monique Lebrun, Pierre Achim et Victor Guèrette, 1993, QF)

1.2.3 Les méthodes d'enseignement-apprentissage

Il est difficile de résumer rapidement la position des trois revues sur le sujet: durant plus de 20 ans, plus de cent articles pertinents ont été publiés sur le sujet. On discute des méthodes de lecture de la maternelle à fin du cours secondaire supérieur. Des didacticiens chevronnés se font promoteurs d'avenues nouvelles, pour les activités de pré-lecture de la maternelle: pictogrammes visant le développement d'habiletés cognitives (Lucille Latendresse, LI, 1982), livres-jeux divers, étiquettes (Suzanne Francoeur-Bellavance, LI, 1980; Andrée Archambault, LI, 1980). On souligne que la lecture précoce comble les aspirations légitimes de parents éduqués.

Pour le primaire, les pédagogues conseillent de présenter à l'enfant différents types de textes, à condition que ceux-ci soient signifiants et lisibles. Les avancées de la didactique de la lecture sont modestes, dont celles sur les niveaux de compréhension (Roland Pelchat, QF, 1979) On insiste sur les stratégies, particulièrement à l'aube des années quatre-vingt-dix, qui voient apparaître d'intéressants travaux sur l'enseignement stratégique; c'est ainsi que l'on abordera les connaissances déclaratives et procédurales; au nombre de ces dernières, le survol et l'anticipation. L'évaluation de la compréhension pose problème: il faut s'attarder à la façon dont l'enfant traite l'information, et non seulement à ses connaissances antérieures ou à sa vision du monde. Quelques esprits novateurs prêchent l'intégration des matières (Jean-Yves Boyer, LI, 1982) afin de promouvoir les buts fonctionnels de la lecture scolaire. D'autres, influencés par les avancés de la sémiotique, conseillent de récupérer les schémas narratifs des théoriciens (Monique No l-Gaudreault, LI, 1982; Réal Bergeron, LI, 1984). Les aspects particuliers de la lecture des jeunes ne sont pas oubliés, dont, entres autres, l'illustration, analysés à l'aide de grilles (Hélène Giguère, QF, 1991), ou encore le vocabulaire (Jocelyne Giasson, QF, 1994).

La description des situations d'enseignement-apprentissage se complexifie au secondaire, puisqu'il y est question de lecture littéraire et d'une évaluation formative plus sophistiquée qu'au primaire. On mentionne de nombreuses techniques d'enseignement stratégique, dont le questionnement réciproque (Gilles Fortier, QF, 1983), les cartes sémantiques (Guy Lusignan, QF, 1995). On pose clairement le problème des corrélations entre compétence en lecture et en écriture. La politique ministérielle d'objectivation, technique de mise à distance du texte empruntée à l'enseignement stratégique, fait l'objet d'un consensus (Ghislain Bourque, QF, 1991). Vers la fin des années quatre-vingt se fait jour un intérêt pour le texte littéraire en soi, comme porteur de messages esthétiques et socio-culturels. Dorénavant, on ne parlera plus seulement de "types de textes" ou encore, de "textes de fiction" (cf les articles de Suzanne Pouliot dans QF, 1994 et 1995), mais bien de "textes littéraires". A ce propos, l'article de Michel Thérien (QF, 1997) constitue un plaidoyer pour l'inscription des textes littéraires à l'école: l'enseignant devient médiateur de culture. Les critiques de manuels de QF parlent plus volontiers du carcan linéaire des stratégies appliquées aux textes littéraires (Jean-François Mostert, 1987; Monique Lebrun et Denis Aubin, 1989). On souligne que le choix des textes littéraires ressortit à l'idéologie des auteurs de manuels et d'anthologie (Claude Simard, QF, 1996), tout en s'inquiétant d'une directive ministérielle qui oblige dorénavant les enseignants à faire lire quatre oeuvres littéraires intégrales par année (Cécile Dubé, QF, 1993).

2. Les bibliothèques scolaires et publiques

2.1 Les revues de littérature d'enfance et de jeunesse

Dans les revues de LITJ, le thème des bibliothèques est étudié principalement par Lurelu et DLDJ. Comme il est fort difficile, pour ces revues, d'opérer une nette division en ce qui regarde les bibliothèques scolaires et les bibliothèques publiques, nous les traiterons de concert. De 1980 à 1989, Lurelu publie 12 articles sur les bibliothèques scolaires et publiques alors que DLDJ en publie 19, répartis entre les bibliothèques scolaires de niveau secondaire, les bibliothèques publiques et les bibliothèques centrales de prèts (BCP). Les revues insistent sur le rôle des bibliothécaires en tant que facilitateurs et animateurs de la lecture dans les bibliothèques.

Au passage, DLDJ constate l'état de dégradation des bibliothèques scolaires et conséquemment de ses retombées sur la lecture des jeunes. Les deux revues n'allouent que deux articles aux politiques culturelles qui régissent et orientent les bibliothèques en soulignant les rapports d'enquètes, les commissions d'études ou les octrois alloués par les instances ministérielles à leur fonctionnement. L'intérêt pour la thématique des bibliothèques décroît à la fin des années 80, sans doute parce que le Québec est désormais mieux doté en infrastructures. Lurelu et DLDJ rendent compte des travaux réalisés au regard des bibliothèques scolaires et publiques. Ainsi, Lurelu (1987) résume le rapport de la Commission d'étude sur les bibliothèques publiques, présidée par Philippe Sauvageau alors que DLDJ (1989) redonne une version abrégée du document soumis par le comité d'étude sur les bibliothèques scolaires, présidé par Gilles Bouchard, dans lequel il est fait état de la pauvreté et de la désuétude du réseau (surtout au primaire).

Lurelu et DLDJ, préoccupés par les bibliothèques publiques et privées, examinent sous différents angles les rôles joués par ces lieux de lecture. Selon la décennie, il sera davantage question du problème de la lecture et des bibliothèques scolaires en suggérant de diversifier les lectures à l'école, puis d'introduire des auteurs francoquébécois (Chaké Minassian, Lurelu, 1978), ou de souligner le travail d'animation réalisé à la bibliothèque de l'école Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

À l'automne 1980, DLDJ consacre quasi un numéro entier au rôle des bibliothèques en faisant ressortir autant la place et l'importance des documentaires dans la formation des jeunes à la lecture que l'aptitude de ces derniers à les utiliser adéquatement. À cette fin, la revue présente des réalisations d'aménagement et d'animation du livre et de la lecture dans différentes régions du Québec : la rive-sud de Montréal (Brossard), Montréal, Québec. Près de quinze ans plus tard, la même revue, qui s'était surtout préoccupée du documentaire au secondaire, met en évidence les avantages de l'exploitation de la bande dessinée dans ce même milieu d'enseignement. Lurelu s'intéresse autant à la bibliothèque idéale des jeunes Québécois, aux bibliothèques municipales (1984, 1989), à la bibliothèque scolaire en milieu ethnique (1987) qu'à la bibliothèque en milieu hospitalier (1983).

2.2- Les revues pédagogiques

Les trois revues QF, LI et VP ne traitent qu'occasionnellement la question des bibliothèques publiques. Pour ce qui est des bibliothèques scolaires, le sujet est cependant relativement bien couvert. On retrouve même mention d'activités ayant pour cadre le coin lecture de la classe.

2.2.1 les bibliothèques publiques

Nous n'avons retrouvé que six articles sur les bibliothèques publiques, dont quatre dans QF, un dans VP et un dans LI. Ce dernier, publié en 1982 par Catherine Karnas et al., constitue une enquête auprès de 18 bibliothèques municipales pour connaître les 50 livres pour jeunes les plus lus. L'article de VP (Yves Nadon, 1990), souligne la complémentarité entre la bibliothèque publique, la bibliothèque de l'école et celle de la classe. Quant aux articles de QF, ils constituent des descriptions de collections, sauf pour le cri d'alarme d'Alain Gendron (1990) sur l'état alarmant des bibliothèques publiques; l'article cite le Rapport Sauvageau et l'incurie des gouvernements, mentionnant que le Québec est au 9e rang au Canada pour le développement de ses bibliothèques publiques.

2.2.2 Les bibliothèques scolaires

On sait que la bibliothèque de l'école est importante, car bon nombre des auteurs d'articles y situent, entre autres, des activités d'animation du livre dont il sera question plus loin. Pourtant, là aussi, le marasme existe, comme le souligne Yves Léveillé (VP, 1988), qui relève sept mauvais usages de ce local, dont la bibliothèque salle d'étude, ou encore, dépôt de livres. Flore Gervais (VP, 1988) propose pour sa part de les réaménager en misant sur une atmosphère de détente et sur une grande variété de documents. On suggère à l'enseignant de se servir de la bibliothèque scolaire comme d'un outil pédagogique et d'en enseigner le fonctionnement à ses élèves (Réal Gaudet, VP, 1989; Réjean Lavoie, VP, 1989). On n'a garde d'oublier les bibliothécaires eux-mêmes: leur rôle d'animateur est bien souligné par Yves Léveillé (VP, 1989 et 1994). Dans un numéro spécial de VP, en 1991, on renseigne même les enseignants sur les listes bibliographiques à l'usage des professionnels, sur les politiques d'élagage, sur l'informatisation des fonds, sur les politiques de choix de livres. Quant au coin lecture en classe (Louisette Chevalier-Poirier et al, LI, 1980; Flore Gervais, VP, 1989), il permet à l'enseignant de faire de l'animation quotidienne du livre, d'embrigader les élèves dans le choix des livres et d'intégrer de vrais livres à la démarche pédagogique.

3. Images associées à la lecture de loisir

3.1 Les revues de littérature d'enfance et de jeunesse

Ce troisième volet sera traité en trois sous-sections : les visions des intervenants du milieu; les clubs de lecture et finalement la place du livre québécois. Il regroupe 86 articles, dont 50% proviennent de la revue DLDJ.

3.1.1 Visions des intervenants du milieu

Le colloque «L'enfant et son environnement», tenu à Sherbrooke en 1979, et plus récemment le Forum «Lire pour réussir» (10-11 novembre 1993), organisé conjointement par la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ), l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED), et l'Association du personnel des services documentaires scolaires (APSDS), et commandité par le ministère de l'Éducation et le ministère de la Culture (Lurelu, 1993 et 1994), ont largement contribué au développement d'un discours sur la lecture, centré sur la face longtemps cachée du livre, soit son côté ludique.

Ainsi, autant les enseignants que les bibliothécaires, les auteurs, les éditeurs, les libraires, les animateurs du livre, les conseillers pédagogiques, les bibliotechniciens que les universitaires ont collaboré à l'émergence de ce nouveau discours, éloigné des préoccupations didactiques d'antan.

Les articles dépouillés font état des bilans, des synthèses, des entrevues de cette «armée silencieuse» (Wilson, Lurelu, 1993), de ces pionniers et pionnières (Poulin, CCL, 1994), des politiques éditoriales qui regénèrent la production littéraire des jeunes (Gauthier, DLDJ, 1983; Baillargeon, DLDJ, 1992; Giroux, DLDJ, 1993; Brosseau, DLDJ, 1994; Charlotte Guérette, DLDJ, 1994) auxquels s'ajoutent les événements annuels tels les Salons du livre, qualifiés d'«antichambre[s] de la culture» (Robert Soulières, Lurelu, 1995)

À divers titres, tous ces intervenants du livre et de la lecture soulignent, suggèrent, décrivent, incitent, proposent de nouvelles approches susceptibles de séduire le lectorat jeune et moins jeune en insistant sur le plaisir de lire. La lecture loisir répond à de nombreux besoins, nourrit l'imaginaire, d'où son importance, soulignée par No l (DLDJ, 1979). Les libraires, quant à eux, offrent des environnements alléchants (Lévesque, DLDJ, 1983; Teillard, DLDJ, 1985; Gravel-Jarosz DLDJ, 1986; Guillet, DLDJ, 1987; Pratte, DLDJ, 1993), suggèrent des titres, des auteurs, des maisons d'édition, des collections qui correspondent à la lecture hédoniste.

Au fil des années, la recension a mis en lumière que les revues mettent davantage de l'avant la lecture hédoniste, composée de lectures débridées, porteuses des valeurs de la postmodernité, proposée autant par les auteurs, les éditeurs, les libraires, les bibliothécaires que les enseignants.

3.1.2. Les clubs de lecture

Les clubs de lecture comme "Livromagie" (6 à 12 ans) et "Livromanie" (12 à 16 ans), mis sur pied par l'organisme à but non-lucratif Communication-Jeunesse, dès 1987 pour les adolescents, et en 1989 pour les enfants, traversent la province et accroissent ainsi la présence de la littérature québécoise pour la jeunesse dans les milieux scolaires.

En 1995, Thibault notait non seulement «que les jeunes lisent plus grâce à la création de la Livromagie et de la Livromanie pour faire connaître les oeuvres d'ici et donner aux jeunes le goût de lire dans les écoles et dans les bibliothèques» (Lurelu, printemps-été, p. 53), mais grâce aussi à d'autres initiatives comme celle de la bibliothèque Charles-H. Blais de Sillery, qui offre le Club Crock-Livres, alors qu'on trouve dans les Régions de Québec et Chaudière-Appalaches le LivREquin.

3.1.3. La place du livre québécois

Les articles repérés autant dans Lurelu que dans DLDJ identifient la place du livre québécois sur la scène internationale, insistent sur la variété des lectures en identifiant les genres, en analysant les illustrations et en présentant la politique du ministère de l'Éducation en lien avec le livre.

Au chapitre des ouvrages génériques, on constate que les revues analysées ont privilégié des créneaux littéraires spécifiques. Ainsi, DLDJ consacre près de 40% des articles de ce sous-thème aux dictionnaires, aux contes populaires français en Amérique du Nord, aux contes québécois ou aux contes d'origine franco-ontarienne, la presse de jeunesse, au documentaire, au roman, la légende alors que Lurelu prend plus spécifiquement en compte, en premier lieu, les romans, qu'ils soient humoristiques, animaliers, d'anticipation, puis les magazines de jeunesse, la bande dessinée, les documentaires, et finalement les recueils de comptines et de poésie en passant par les livres de chansons.

Sous la forme de dossiers présentés par Lepage (Eté 1991) et Despinette (Hiver 1993), DLDJ met en lumière la lecture et l'illustration,alors que Lurelu insiste surtout sur le colloque La griffe québécoise dans l'illustration du livre pour enfants, organisé par Communication-jeunesse (1991).

3.2 Les revues pédagogiques

3.2.1 Le discours explicite des enseignants

Les enquêtes (cf le point 1, supra) permettent de faire le point sur l'importance des bons lecteurs parmi la population étudiante. Quant aux enseignants de langue (cf Luce Brossard, VP, 1994), on sait que ce sont les plus grands lecteurs de la confrérie et qu'ils cherchent à encourager ce goût chez leurs élèves. C'est, selon eux, une des missions primordiales de l'école. Pour développer ce goût, on inscrit parfois les élèves à des clubs de lecture, ainsi, les clubs de "livromagie" et de "livromanie" de Communication Jeunesse, organisme également mentionné, on l'a vu, dans les revues de LITJ. On recourt aussi à des moyens plus traditionnels: visite à la bibliothèque, présentation de livres en classe. Il faut évidemment accepter de ne pas tout évaluer. C'est là un des buts du journal dialogué (Monique Lebrun, QF, 1994): par un échange de lettres avec l'enseignant ou avec ses pairs, l'élève raffine ses analyses au fil de sa lecture; on ne note que sa participation et son respect des consignes. La stratégie des "vrais livres" en classe (cf supra, au point 1) contribue également au plaisir de lire. Depuis longtemps, les vrais pédagogues se sont rendus compte qu'une évaluation de la lecture par objectifs ou compétences détruit la significativité des situations d'apprentissage (cf Claude Langevin, QF, 1982) et que la lecture partagée est une "histoire d'émerveillement, de découverte, de communication réelle (Claudine Blain, QF, 1995, p. 40). Flore Gervais (QF, 1996) édicte même quelques règles d'une "didactique du plaisir de lire": faire sentir le livre comme une source de plaisir accessible, aider les élèves à identifier leurs intérêts en lecture, les convier à parler de leurs découvertes.

3.2.2 Le discours explicite des équipes éditoriales

On peut adjoindre à ce discours sur un plaisir de lire non équivoque, même dans le cadre scolaire, le discours des équipes éditoriales de l'une des trois revues en cause, QF, qui ouvre ses pages à des analyses ou interviews d'écrivains pour la jeunesse, à peu près tous québécois, en l'occurrence (ex.: Bertrand Gauthier, Denis Côté, Michèle Marineau, Dominique Demers). On remarque également le souci qu'a LI de décrire le plus adéquatement possible, au fil des ans, l'évolution du corpus de littérature de jeunesse, sous les plumes conjuguées de Suzanne Pouliot et d'Andrée Archambault. Libre à l'enseignant de consulter ces articles pour y trouver de nouvelles activités, ou tout simplement pour enrichir leur connaissance du domaine.

4. L'animation de la lecture

4.1 Les revues de littérature d'enfance et de jeunesse

Ce dernier thème regroupe 133 articles répartis en quatre sous-thèmes: les campagnes de lecture, les lieux et les sources d'animation et finalement les personnes ressources.

4.1.1 Les campagnes de lecture

En 1987, Communication-jeunesse et la revue Lurelu ont participé à la campagne de lecture «Le plaisir de lire», lancée par le ministère des Affaires culturelles. Cette association a eu pour effet de suggérer 16 activités d'animation aux éducateure et aux éducatrices (parents, corps enseignant, psycho-éducateurs, etc) pour permettre à des jeunes (enfants et adolescents) de participer à de nouvelles activités orientées vers la promotion des livres et de la lecture.

4.1.2 Les lieux d'animation

Les articles réservés aux lieux d'animation de la lecture se préoccupent autant des destinataires que des buts poursuivis par les intervenants. Ainsi, onze lieux d'animation ont été identifiés de la bibliothèque scolaire en passant par la classe, la maison, le musée, la librairie, la bibliothèque publique, l'éditeur, le centre culturel, la galerie d'art, le camp de vacances et la garderie (Sylvie Gamache, DLDJ, 1982; Lurelu, 1982). Il s'agit d'articles qui relatent des témoignages (Morissette, DLDJ, 1994), associés à diverses expériences d'animation de la lecture, vécues autant en milieu scolaire régulier (Sénéchal, DLDJ, 1981) que non traditionnel (Hardy, Lurelu, 1978 et 1979; Sylvie Gamache, Lurelu, 1984) dans les bibliothèques publiques de Montréal, dans la salle de classe (Tardif, DLDJ, 1980; Roy, DLDJ, 1991), la librairie ou chez l'éditeur (DLDJ, printemps 1986). Dans les articles relevés, les auteurs soulignent l'intérêt et la motivation des jeunes à lire.

4.1.3 Les sources d'animation

Comment animer le livre et la lecture? À quelle source se documenter ? C'est principlement à ces deux questions que les articles répondent en s'attardant davantage aux revues spécialisées et aux manuels qui suggèrent diverses entrées comme l'exploitation par genre (album, B.D., conte, roman...), par thème (No l, l'Halloween, les animaux, l'amitié, la science), par le biais de l'illustration ou encore des collections. Préoccupées par la lecture des jeunes, les rubriques de la revue Lurelu «Des livres à exploiter» et «Sous un autre angle», regroupent des activités ouvertes inspirées des livres. La particularité de ces ensembles sériels, c'est d'offrir une variété de pistes originales, en plus de proposer de nombreuses possibilités offertes ceux et celles qui veulent donner aux jeunes le goét de la lecture, selon diverses entrées génériques (Lurelu, hiver 1978, pour le conte; Thériault, DLDJ, 1980, pour la bande dessinée; Lamérand, DLDJ, 1979, pour le roman littéraire).

4.1.4 Les animateurs et personnes ressources

Les revues Lurelu et DLDJ, conscientes du rôle phénoménal joué par les bibliothècaires dans le développement de la lecture auprès des jeunes consacrent de nombreux articles à la mise en lumière des initiatives, des réalisations, des transformations apportées par ces spécialistes du livre, désormais moins préoccupés par la gestion du livre, son classement, son rangement, sa protection, que par l'enfant lecteur et sa lecture. À cette fin, tout au long de la décennie 80, plusieurs articles soulignent le travail d'animation, réalisé par les bibliothécaires, soit sous la forme d'entrevues (DLDJ, automne1980; Lurelu, printemps-été 1981 et hiver 1987), de descriptions qui brossent les «10 ans d'animation dans les bibliothèques scolaires de Verdun» (DLDJ, automne 1986), ou qui énumèrent les activités d'animation culturelle dans l'une ou l'autre des bibliothèques publiques.

Parmi les autres personnes ressources, les revues mentionnent d'abord les auteurs, qui ont la possibilité de rencontrer leurs jeunes lecteurs dans les écoles, les bibliothèques municipales, les centres de loisirs, puis les librairies, les éditeurs, les enseignants et les éducateurs, et enfin les organismes voués aux livres et à la lecture comme Communication-Jeunesse et L'ASTED, qui travaillent étroitement à la promotion de la lecture des jeunes.

4.2 Dans les revues pédagogiques

L'origine pédagogique des trois revues QF, VP et LI colore leur conception de l'animation du livre. On est parfois à la limite d'une didactisation du livre de loisir. Les enseignants en sont bien conscients, qui se retiennent parfois pour ne pas tout évaluer. On peut distinguer l'enseignant animateur de l'animateur professionnel invité

4.2.1 l'enseignant animateur

Pour animer le monde des livres au bénéfice de ses élèves, il convient de bien se préparer, de connaître son public et de disposer d'une bonne dose de créativité (Marie-Bénédicte Hervé, VP, 1980; Réjean Lavoie, VP, 1989). Il faut idéalement bien connaître le corpus , d'où la nécessité de lire et d'arpenter fréquemment la bibliothèque. Les aides audio-visuelles ne sont pas à dédaigner. Pour maximiser l'impact, on peut également penser à des activités de prolongement (ex.: écriture de poèmes et de récits). Certains esprits systématiques (cf Jean-Guy Marcotte, VP, 1991) appellent "animation" l'enseignement aux élèves de la classification Dewey, afin qu'ils se retrouvent sur les rayonnages. Plus fréquemment, les articles s'attardent à des projets inventifs ayant la bibliothèque pour cadre : création d'un livre géant en première année ( Maurice Dupont et Diane Frigon, VP, 1991), exploitation d'un thème, par exemple les chats (Jacqueline Gélinas-Desaulniers, LI, 1980), mise sur pied d'un salon du livre (Colette Baribeau et al., LI, 1982)

4.2.2 l'animateur professionnel

Les écoles requièrent l'aide d'un animateur professionnel lorsqu'elles entreprennent des projets ambitieux tels que les semaines du livre . Ainsi, dans VP 1988, Frances Solinas-Digironimo décrit le déroulement d'une semaine CTEL (cessez tout et lisez) à son école, alors que la direction a invité un illustrateur et une poétesse. Un collectif d'enseignant VP 1988 et 1989) raconte comment, au cours d'un projet de promotion de la lecture, on a chargé le "Génie de la bibliothèque" de suggérer des livres aux enfants; des comédiens ont incarné par la suite les personnages de ces livres, lors d'une fête. Grâce à la collaboration de Communication Jeunesse et de ses animateurs professionnels, plusieurs commissions scolaires peuvent offrir aux enfants des activités où le livre vit et s'incarne dans un personnage protéiforme. Gisèle Desroches, animatrice experte (QF 1996), reste convaincue que l'animation est le moyen idéal pour susciter le plaisir; selon elle, l'animation vise à augmenter le nombre de lecteurs, à leur inoculer l'amour des livres. Il ne s'agit pas d'enseignement, mais de création de liens entre une matière abstraite et un public grouillant . Tous les chemins sont bons qui conduisent à faire aimer la lecture.

Conclusion

Au terme de ce survol, voyons à dégager quelques lignes de force. Les revues de LITJ, fidèles à leurs orientations éditoriales de base, inlassablement, veillent à susciter, à maintenir et à développer le goût et le plaisir de la lecture des tout-petits et des plus grands, selon une approche qui combine esthétique et loisir. Les prescripteurs, mis à contribution, décrivent, relatent et analysent les raisons qui les motivent à intervenir auprès d'un lectorat enfant ou jeune, mesurent l'impact de leurs diverses interventions et souhaitent que tous les enfants soient à tout jamais contaminés par les bienfaits de la lecture.

Les revues pédagogiques, pour leur part, offrent de la lecture une image contrastée. Elles savent expliciter les linéaments des programmes ministériels et s'en montrer critiques à l'occasion. Attentives prioritairement aux démarches pédagogiques et à l'évaluation, elles n'en abordent pas moins avec constance, et parfois enthousiasme, des questions qui outrepassent le simple mandat de l'enseignant. Ainsi, à côté d'une pléthore d'articles sur les habiletés à viser dans la compréhension en lecture, ou encore, sur les arcanes des types de textes, elles s'interrogent sur le plaisir de lire, sur les activités d'animation qui prolongent le cadre strict des activités scolaires. On est loin du fixisme du début du XXe siècle , où seul le discours officiel avait droit de cité. Le monolithisme pédagogique a éclaté: les revues autorisent une variété de discours qui augure bien de l'avenir de la lecture

En bout de ligne, le langage de la presse professionnelle apparaît convergent, qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre type de revues: il dessine un réseau conceptuel sur la lecture des jeunes, pris en charge et partagé par les auteurs, les enseignants, les éditeurs, les illustrateurs, les bibliothécaires et les libraires, relegant aux oubliettes le discours moralisateur et didactique sur la lecture des jeunes du début du siècle.

Les interventions individuelles ou institutionnelles (colloques, guides variés et adaptés à diverses clientèles, semaines de sensibilisation, campagnes de promotion de la lecture, programmes d'études, activités formelles d'enseignement-apprentissage ) dévoilent une conception de la lecture qui s'est récemment traduite d'une part par une politique culturelle (1992) abordant nommément la question de la lecture via les bibliothèques publiques et d'autre part, par des publications du Ministère de l'Éducation aux titres non équivoques (Lire et aimer lire au secondaire en 1989 et De la lecture à la culture en 1995).