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63rd IFLA General Conference - Conference Programme and Proceedings - August 31- September 5, 1997

Des usages diversifiés pour la classification Dewey à la Bibliothèque nationale de France

Suzanne Jouguelet
Direction de l'Imprimé et de l'audiovisuele,
Bibliothèque Nationale de France,
Paris, France


PAPER

Le choix de la classification Dewey

L'établissement constructeur du nouveau site de la Bibliothèque nationale de France s'est préoccupé dès 1991 de l'organisation de ses collections en libre-accès et du choix d'une classification. Etant donné la nature des collections, la classification devait être encyclopédique. Aidé par un groupe d'experts, l'établissement a étudié plusieurs hypothèses :

On peut rappeler brièvement les critères de sélection qu'énumérait Annie Béthery, présidente du groupe de travail chargé de choisir une classification pour la nouvelle bibliothèque :

Au moment du choix (fin 1991) c'est la classification Dewey qui, malgré ses imperfections, a répondu le mieux à l'ensemble de ces critères.

Applications de la classification Dewey à la Bibliothèque nationale de France

La bibliothèque joue sur les deux fonctions essentielles de toute classification : la recherche par sujet et le classement.

INDEXATION

La classification Dewey est en effet d'abord utile pour l'indexation des documents, avec un champ particulier dans la notice bibliographique (le champ 676 en format Unimarc).

Seules pour l'instant sont indexées en Dewey les collections en libre-accès destinées aux salles de lecture du site Tolbiac. Ces salles de lecture s'étendent sur deux niveaux : le niveau " grand public " dit " haut-de-jardin " et le niveau recherche dit " rez-de-jardin ". D'ici cinq ans environ les collections en libre-accès compteront en tout plus de 700.000 volumes.

Les collections entrées par dépôt légal, destinées aux magasins, ne sont pas encore indexées en Dewey. Cet objectif est toujours maintenu, mais le calendrier de mise en oeuvre est fixé plus tardivement en fonction de l'augmentation du travail pour le personnel.

L'indexation pour les collections en libre-accès s'effectue de façon classique et n'appelle pas de commentaire particulier. Les équipes de catalogage sont organisées par thèmes, respectant ainsi un élément essentiel de l'organisation de la bibliothèque : les départements thématiques, qui se substituent dans la nouvelle bibliothèque aux départements traditionnels par supports (Livres imprimés, Périodiques).

Il existe à Tolbiac cinq départements : Philosophie, histoire, sciences de l'homme ; Droit, économie, politique ; Sciences et techniques ; Littérature et art ; Département de l'Audiovisuel, ainsi qu'un service de recherche bibliographique et la Réserve des Livres rares.

Cette notion de département thématique structure aussi bien les services internes que les salles de lecture. Acquéreurs et catalogueurs sont spécialisés par discipline et/ou groupe de disciplines : par exemple, dans le département philosophie, histoire, sciences de l'homme, on a des acquéreurs et catalogueurs en philosophie, religion, histoire, sociologie, ethnologie, géographie.

L'indexation a d'abord suivi la 20è édition complète en langue anglaise de la Dewey, puis a reçu l'aide de la traduction française de l'édition intermédiaire. Depuis l'été 1996, c'est la 21è édition anglaise qui est utilisée, en attendant la traduction française, perspective dont nous reparlerons en conclusion.

COTATION

L'originalité dans l'exploitation de la classification Dewey réside dans la cotation , car il a fallu adapter les indices Dewey à l'organisation de la bibliothèque en département, salle, discipline. En effet cette organisation rend impossible un déroulement séquentiel, de 0 à 9, de la Dewey dans les salles de lecture. Chaque salle reprend, en fonction des disciplines qu'elle contient, une série d'indices Dewey.

Par exemple, le département sciences et techniques ne réfère pas seulement aux classes 5 et 6 mais aussi 0 pour généralités et informatique, 1 pour psychologie, 3 pour sociologie des sciences.

La classification Dewey, pour le classement, représente en quelque sorte un troisième niveau après le département et la discipline.

Le choix de la Dewey a donc été suivi par un long travail de réflexion et d'adaptation avec un comité de pilotage puis, discipline par discipline, avec les acquéreurs et les catalogueurs.

Pour garder la cohérence, consigner les choix et élaborer les outils, une cellule cotation, transversale aux départements, a été créée au printemps 1993 (2 personnes). Elle a élaboré des règles de cotation et établi des listes de cotes par disciplines, en collaboration avec les acquéreurs et les catalogueurs. Avec le développement des départements thématiques, un coordinateur Dewey a été nommé par département (été 1994).

On a volontairement limité le nombre de cotes retenues, en l'adaptant à la taille des collections. On a obtenu une grille de classement d'environ 10 000 cotes.

Ce long travail de choix et d'adaptation des cotes pour chaque discipline a visé à garder une cohérence entre la politique documentaire, la cotation et l'organisation des collections. Or il est difficile de tenir compte en même temps des besoins logiques de regroupement énoncés par les acquéreurs, du respect de la classification, et d'une vision globale de l'organisation des collections sur les rayons, salle par salle, aussi bien que pour l'ensemble des salles.

Le fil directeur a été la lisibilité , impliquant par exemple :

Mais des aménagements " logiques " ont été retenus. On a par exemple jugé nécessaire d'apparier langue et littérature pour chaque aire linguistique et donc de faire se succéder des ensembles 4 + 8.

Les travaux ont conduit à l'élaboration d'un Manuel de cotation (première diffusion en juin 1993) et de listes de cotes au nombre de 10 000 environ, en avril 1997 (chiffre à peu près stabilisé depuis l'été 1995).

Ces listes de cotes sont organisées par département et discipline puis dans l'ordre des indices. Sont disposés sur trois colonnes, d'abord les cotes, puis leurs intitulés, et enfin diverses observations destinées aux catalogueurs.

Les catalogueurs choisissent la cote adaptée et la saisissent dans une zone de données locales, différente évidemment de la zone d'indexation de la notice bibliographique.

Le plus souvent indice et cote sont identiques, au moins pour le radical de la cote (qui est complétée par les premières lettres du nom de l'auteur). Mais indice et cote peuvent différer dans un certain nombre de cas. En effet, dans le souci d'avoir un plan de classement adapté aux salles et de ne pas créer trop de cotes avec peu de documents sous chacune, on a fait des regroupements.

Par exemple dans le domaine des sciences économiques, la microéconomie a été rapprochée de la macroéconomie (339) en créant une cote 339.8, mais avec respect, en indexation de l'indice 338.5 ; ou, dans celui des sciences de la vie, la biogéographie a été traitée après l'écologie (574.5) en créant une cote 574.79 alors que l'indice Dewey strict est respecté en indexation : 574.9. En linguistique, on a créé des cotes en 401 pour la sociolinguistique alors que l'indice Dewey est 306.44.

On peut détailler plus longuement la cotation de la psychanalyse, car elle diffère de l'indexation.

En effet, la répartition des disciplines dans le département thématique

" Philosophie, histoire, sciences de l'homme " crée les ensembles suivants sur les étagères : un grand ensemble = Philosophie, puis un ensemble = psychologie, psychanalyse, éducation, puis un ensemble religion.

Au lieu de coter la psychanalyse en 150.195, on a créé des constructions " hors Dewey " en développant des cotes " Psychanalyse " sur le radical 159.

On cote ainsi en 159 la théorie de la psychanalyse, en 159.6, la psychanalyse clinique et les études de cas, en 159.82, les rapports psychanalyse et religions ...

On peut ainsi regrouper les documents sur les rayons par discipline. Mais la notice bibliographique des documents concernés conserve son indice orthodoxe : 150.195 pour le premier exemple, 616.891 7 pour le deuxième exemple etc ...

Chaque fois qu'il y a création d'écarts, c'est signalé dans les listes de cotes par la mention " Cote hors Dewey " et l'indice orthodoxe est rappelé.

Un autre type de regroupement contrevient aux règles de la classification Dewey : c'est le regroupement en " corpus " des oeuvres d'un auteur et des travaux le concernant (critiques, biographies etc ...).

Ce traitement en corpus s'applique tout particulièrement en littérature et philosophie.

Les cotes de corpus sont construites avec le radical de langue/siècle (subdivision de siècle de la table 1 sans - 09).

Par exemple une édition des " Fleurs du mal " de Baudelaire recevra un indice 841.8 et une cote, dans la zone de données locales, 968$s84/34$t BAUD ..., ce qui permettra un regroupement en corpus.

Il s'agit donc de constructions hors-Dewey liées à un choix d'organisation des collections. Elles ne représentent toutefois que 16% de l'ensemble du fichier des 10 000 cotes géré sous Access.

SIGNALÉTIQUE DES COLLECTIONS

Ces travaux sur la cotation ont permis d'alimenter en parallèle une étude sur la signalétique des collections " Méthode et recommandations pour la mise en place de la signalétique ". Il s'agissait de répondre aux questions plus directement liées à l'implantation des collections dans les salles de lecture : quelles sont les cotes à signaler, à quel niveau, et sous quelle forme.

Les niveaux de signalement, liés au mobilier, sont au nombre de trois : le côté des étagères, le haut des étagères, le niveau plus fin de la tablette. La structure hiérarchisée de la classification Dewey se prête assez bien à cette trilogie.

Exemple de signalétique en Sciences

- Sur le côté des étagères, on indique tout ce que le rayon contient
	ex	PALEONTOLOGIE. SCIENCES BIOLOGIQUES

avec mentions 		560		Paléontologie générale
en dessous		561 à 569-8	Paléobotanique et paléozoologie
			------
			574		Sciences biologiques


- En haut d'une section d'étagères on indique ce que la section contient
	ex	560 Paléontologie générale. Paléoécologie

- Au niveau d'une tablette on indique la cote ou la tranche de cotes précises
	ex	561		Paléobotanique
		566 à 568	Vertébrés fossiles
		etc ...

Des niveaux de signalétique, du plus général au plus spécifique, figurent également dans les listes de cotes.

L'étude a été confiée à une société spécialisée dans les traitements linguistiques informatiques, en 1994. Elle a mené une analyse formelle approfondie des intitulés associés aux indices de cotation à partir de l'état des listes de cotes fin 1993. L'objectif était de transformer ces listes en une véritable liste de référence, cohérente pour l'écriture des intitulés sur le plan formel.

Elle a permis par exemple de travailler sur la longueur des intitulés, sur le nombre de mots par intitulé, sur la présence de subdivisions, sur la ponctuation, etc ...


Par exemple on avait :

en astronomie : 		522.6 	: Astronomie pratique ... Méthodes spéciales 
					  d'observation,
en mathématiques : 		519.234 : Processus de naissance et de mort ... 
					  
Processus stochastiques, qui ont été, au 
vu des conclusions de l'étude, simplifiés :

				522.6	: Astronomie- Méthodes d'observation
				519.234 : Processus stochastiques
					  avec ajout, dans la colonne Commentaires 
					  Processus de naissance et de mort

Un guide de rédaction des intitulés a été rédigé, avec des propositions relatives à la ponctuation, à la mention des subdivisions, des dates, etc ...

A la suite de cette première phase de mise en cohérence des intitulés, on a sélectionné les intitulés adaptés à la signalétique, avec les trois niveaux déjà évoqués.

STATISTIQUES

La base de données des cotes est également exploitée à des fins statistiques : les collections en libre-accès en haut-de-jardin comme en rez-de-jardin ne sont pas encore totalement constituées ; il faudra encore environ cinq ans pour atteindre la capacité globale de 700.000 volumes.

On évalue donc régulièrement le taux de remplissage des salles, et plus précisément le nombre de volumes par cotes, par cotes regroupées, par discipline. On peut ainsi suivre et infléchir la politique documentaire (budget d'acquisitions, secteurs à développer, à limiter ...).

C'est la cellule cotation (réduite à une personne) qui gère la base des cotes aussi bien pour le contenu (suppression et création de cotes, modifications des intitulés ...) que pour les produits statistiques.

SYSTÈME INFORMATIQUE

Le dernier grand domaine d'application de la classification Dewey à la bibliothèque est de toute évidence le système informatique en cours de réalisation, avec, une fois encore, le double rôle de recherche par sujet et de localisation.

Un des modules du système, appelé " système d'information du public " permet de présenter la bibliothèque, ses services et ses collections. La recherche thématique permet de localiser un sujet dans les collections en libre-accès, en cherchant

Par contre la recherche thématique ne permet pas de voir les notices bibliographiques des ouvrages en libre-accès. Pour consulter ces notices, il faut se reporter au catalogue.

Le catalogue permet, lui, des modes de recherche plus complets et précis, à la fois par l'indice (notice bibliographique) et par la cote (affichage des données d'exemplaires pour les documents en libre-accès). Cet affichage de données peut s'accompagner, si l'utilisateur le souhaite, d'une localisation (une zone d'une salle). Dans ce cas l'utilisateur passe de façon transparente, au cours de sa session de consultation, du catalogue au système d'information du public (plan des zones de disciplines dans les salles).

Perspectives d'évolution

En matière d'indexation, l'utilisation de la classification Dewey sera étendue aux documents entrant par dépôt légal ; il existe également un projet de constitution d'un fichier d'autorité des indices Dewey. Les liens avec le fichier d'autorité matière (RAMEAU : Répertoire d'autorité matière encyclopédique, alphabétique, unifié) devront être étroits.

En matière de cotation, même si les travaux de la Bibliothèque nationale de France présentent un caractère spécifique dans la mesure où ils sont étroitement liés à son organisation, ils ont permis d'élaborer un outil documentaire consignant tout un ensemble de réflexions sur des niveaux de signalétique, des intitulés d'indices plus détaillés et plus structurés que dans les outils édités de la classification, et des consignes d'application qui peuvent être utiles à d'autres. La bibliothèque est d'ailleurs sollicitée par des institutions qui introduisent une organisation thématique ou qui constituent des fonds importants en libre-accès.

La mise en oeuvre du système d'information et l'étude des pratiques du public quant à la recherche thématique constituent une échéance essentielle pour juger le travail accompli en catalogage et en signalétique.

L'évolution de la gestion documentaire des collections repose aussi en grande partie sur l'exploitation statistique des données de cotation.

Enfin un élément nouveau a été introduit par le chantier de traduction en français de la 21è édition intégrale.

En effet, pour la première fois depuis 1972, une édition intégrale sera publiée en français en coédition par les bibliothèques nationales de France, du Canada, du Québec et l'ASTED (Association pour l'avancement des sciences et techniques de la documentation).

La XXIè édition de la classification Dewey en français sera disponible courant 1998. Version papier et version CD-Rom sont prévues.

Il est souhaité qu'à l'occasion de ce travail de traduction (entraînant des relectures et des validations communes) certaines adaptations de la classification Dewey puissent être proposées, pour la France, dans des domaines bien spécifiques comme l'administration, le droit, l'histoire.