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63rd IFLA General Conference - Conference Programme and Proceedings - August 31- September 5, 1997

Les Débuts de la Presse en France

Pierre Albert,
Paris, France


PAPER

Depuis la parution en 1969 du premier tome de l’Histoire générale de la presse française (des origines à 1814) (1), l’histoire des journaux d’Ancien Régime a été renouvelée en particulier par les travaux du professeur Gilles Feyel sur la Gazette (2). Ces nouvelles études permettent de dégager désormais les spécificités de notre système d’information par rapport à ceux des autres pays de l’Europe occidentale, au temps de la presse en bois

Pour l’essentiel cette originalité a tenu à la tutelle d’un pouvoir royal fort qui sut , à la fois, imposer le monopole d’édition et donc centraliser le marché de la presse, inspirer le contenu des périodiques et donc éviter la révélation de nouvelles ou l’expression d’opinions non conformes à l’idéal monarchique, et surveiller étroitement la diffusion des gazettes, journaux, mercures et autres imprimés d’information.

I L’âge des occasionnels (1482 1631)

L’imprimerie a pénétré en France avec un retard sensible sur l’Allemagne, les Pays Bas et l’Italie mais il est significatif que dès 1458 Charles VII envoya à Mayence Nicolas Jenson pour en rapporter la merveilleuse technique typographique... mais celui-ci préféra aller exercer à Venise. La première imprimerie fut installée en 1470 à la Sorbonne à la demande des maîtres de l’Université de Paris, Lyon, qui resta sous l’Ancien Régime un centre très important d’édition de livres et de feuilles volantes eut son premier atelier en 1473. En 1500, sans compter Strasbourg, ni Avignon alors territoire pontifical, 26 villes étaient dotées de presses typographiques.

Comme dans les autres régions de l’Europe Occidentale les premiers imprimés d’information ne prirent pas directement la suite des nouvelles à la main, correspondances adressées par des nouvellistes, au rythme des courriers, à quelques abonnés aristocrates ou hommes d’affaires. Ces bulletins imprimés, épisodiques, parfois illustrés, en cahiers de 4 à 16 pages, avvizi, corantes ou zeitungen prirent en France le noms de relations ou d’occasionnels. J.P. Seguin (3) en a retrouvé plus de 200 entre 1482 et 1530. La plupart furent dès l’origine consacrés à proclamer et à magnifier les actes de la monarchie; dès 1509 au moins, leur impression fut soumise à l’autorisation royale par «privilège». Après 1631, ces occasionnels se raréfièrent et leur matière fut reprise dans les extraordinaires de la Gazette.

Les canards furent le second type de bulletins d’information, récits de faits divers criminels, accidentels ou merveilleux, sans connotation politique. Le premier connu en France date de 1529. Leur succès fut considérable - 517 ont été retrouvés pour la période 1529 - 1631 - et ils ne disparurent qu’à la fin du XIXe siècle.

Les libelles, textes de polémique et non pas de récit furent évidemment très nombreux, en France aussi, lors des guerres de religion dans la seconde moitié du XVIe siècle et à nouveau lors de la Fronde (1648 - 1653) avec les fameuses mazarinades. Cette littérature pamphlétaire reflua lorsque, après 1660, la monarchie absolue sut imposer son autorité: si elle ne disparut jamais, cette forme de contestation de l’ordre politique ou de l’orthodoxie religieuse n’eut plus qu’une existence précaire et une diffusion clandestine limitée, «sous le manteau».

Comme ailleurs en Europe, les progrès de l’imprimerie entraînèrent la naissance et le perfectionnement progressif d’une législation répressive: réglementation très stricte des métiers d’imprimeur et de libraire, dépôt légal des imprimés (1536), substitution des censeurs royaux aux censeurs ecclésiastiques (1547), sanctions très lourdes pour les auteurs, imprimeurs et diffuseurs des placards des libellés «séditieux et diffamatoires»...

Même si l’essentiel de ces imprimés se vendaient au numéro, beaucoup circulaient aussi par la poste et la France fut le premier Etat européen à se doter d’un service public bien organisé dès 1464: les postes royales furent à la fois un remarquable instrument pour la circulation des imprimés et un moyen très efficace pour l’administration de réguler leur diffusion

II La gazette de Théophraste Renaudot

Le passage des bulletins d’information épisodiques à la presse périodique s’est fait en France dans des conditions originales. Elle fut tardive (1631) alors que l’Allemagne et les Pays-Bas les connaissaient depuis au moins 1605 - 1609 et qu’il y eut dès 1620 des gazettes en français éditées en Hollande. Alors que dans ces pays ce sont le plus souvent des imprimeurs-éditeurs privés qui en eurent l’initiative, quitte pour eux à en obtenir l’autorisation des autorités locales, urbaines ou princières, c’est l’autorité royale qui imposa la Gazette et lui assura un monopole sur l‘ensemble du territoire. Cette volonté du pouvoir central de conserver l’exclusivité de l’information au service de la politique du roi et de ses ministres, était déjà en germe dans le système de tutelle imposé aux bulletins d’information et dans la prise de contrôle du Mercure français: cette publication, répertoire des principaux événements de l’année écoulée paraissait depuis 1614; Richelieu le confia dès 1624 à son éminence grise, le père Joseph, et en 1638 le transmit à Renaudot lui-même. Cette volonté fut confirmée dès 1631 par l’élimination des Nouvelles de divers endroits que les libraires Vendosme et Martin avaient lancées à Paris, sur le modèle des périodiques étrangers Malgré l’appui de la corporation des libraires et celui de la justice ordinaire qui chercha à faire interdire la Gazette, l’autorité royale contraignit les Nouvelles à disparaître et elles furent intégrées dès 1632 dans l’organe officieux de la monarchie (4).

La création de la Gazette fut le résultat d’une réorientation de la politique de Richelieu: désormais décidé à intervenir ouvertement dans la guerre qui opposait les princes protestants à l’Empereur et donc à reprendre la lutte contre les Habsbourg, il avait besoin d’un instrument de propagande moderne autant pour rallier l’opinion française à sa politique que pour intervenir, à armes égales, dans le concert de la presse européenne. Le contenu de la Gazette confirme cette vocation de propagandiste puisqu’elle est pour l’essentiel de son contenu consacrée aux nouvelles de l’étranger et à l’illustration des victoires militaires des armées de la France et de ses alliés. Il est aussi à noter que la naissance de l’organe exclusif de l’information fut précédée en janvier 1630 par la modernisation du service postal avec la création de la Surintendance générale des postes.

Hebdomadaire à 4 pages de 12.000 signes petit in 4 de 15,7 x 22,4 cm, elle passa à 8 pages en fin 1631 en absorbant les Nouvelles ordinaires puis à 12 pages en 1642. De février 1632 à décembre 1642, Renaudot ajouta, tous les mois, un supplément de 12 pages, Relation des nouvelles du monde, sorte de bilan commentant les nouvelles du mois écoulé mais dut y renoncer car Richelieu n’aimait pas ce «journalisme de commentaire». A partir de 1634, il livra irrégulièrement des Extraordinaires, sorte d’occasionnels consacrés ou récit d’un seul événement. Ces extraordinaires finirent par représenter annuellement un ensemble plus important que la Gazette elle-même(5).

L’impression confiée à l’origine à des imprimeurs privés fut ensuite assurée après 1633 dans les ateliers de Renaudot lui-même: il utilisait trois presses à deux coups qui lui permettaient d’assurer en 4 ou 5 heures le tirage des quelques 1.200 à 1500 exemplaires de l’édition parisienne, sans parler des travaux annexes: impression des extraordinaires, des Conférences du Bureau d’adresse, voire de la Feuille du Bureau d’adresse.

Pour conforter son monopole et l’imposer en province contre d’éventuels concurrents, Renaudot eut recours à un procédé que ses successeurs appliquèrent jusqu’en 1752 (6). Il passa, dès 1632, des contrats avec des imprimeurs provinciaux qui recevant par le courrier le plus rapide un exemplaire de la Gazette, la réimprimaient en quelques heures. Ils la diffusait ensuite dans leur ville et ses environs, à un prix très avantageux car ils évitaient ainsi les frais de poste qui auraient, en moyenne car la taxe postale variait selon la distance, doublé le coût de l’exemplaire pour l’abonné de province. M. Feyel a retrouvé, de 1632 à 1750, 61 contrats de ces réimpressions pour 38 villes en province. Ainsi la Gazette put rester pendant près de 120 ans le seul organe d’information politique français et, avec l’appui de l’autorité royale, empêcha la naissance d’organes provinciaux concurrents.

La tentative de Renaudot de doubler la Gazette d’information par un système indépendant de petites annonces autour de son Bureau d’adresse, séparant donc l’annonce commerciale ou privée de l’information, échoua mais son privilège conservé par ses héritiers jusqu’en 1750 empêcha, en fait, l’expansion de la publicité dans la presse en France, alors qu’elle eut une place très importante dans les gazettes anglaises et allemandes.

III Le système de presse de la monarchie absolue (1660 - 1750)

Après les troubles de la Fronde, le pouvoir royal restauré, et devenu absolu, maintint pendant un siècle la presse sous sa tutelle et conserva la centralisation de ses organes. Au contraire, en Angleterre, la monarchie, affaiblie, finit après 1688 par céder au Parlement la direction des affaires et la presse trouva par la politique, surtout après 1695, les occasions de se diversifier au services des factions qui se disputaient le pouvoir. Dans les Pays-Bas et l’Empire, l’absence d’un pouvoir central fort permit la régionalisation et la multiplication des titres et fit de la presse un marché concurrentiel.

Certes la Gazette qui ne devint bihebdomadaire qu’en 1762, ne pouvait répondre seule aux besoins d’information des Français, on assista donc à une lente diversification des publications mais l’exclusivité de l’information politique ne pouvait être remise en cause. Le pouvoir autorisa, toujours selon le principe du privilège, la création du Journal des savants en 1665, à l’origine essentiellement consacré à la présentation des nouveaux livres, puis celle du Mercure galant en 1672, feuille d’échos et de variétés dont le monopole fut repris en 1624 par le ministère des Affaires Etrangères et qui devint alors Mercure de France. Ces deux titres eurent au XVIIIe siècle une masse d’imitateurs, tolérés par le pouvoir et épisodiquement poursuivis ou interdits qui expriment parfois avec talent les multiples tendances et les curiosités du Siècle des lumières. Ces nouveaux journaux ne remettaient pas en cause le principe du monopole puisque leurs éditeurs devaient rétribuer les titulaires des privilèges. Naquirent aussi alors des organes spécialisés dans la médecine, la mode, l’éducation, le droit, l’agriculture,...

Une des caractéristiques étonnantes de ce système de presse est la liberté accordée aux gazettes étrangères de pénétrer en France. L’ancien Régime en effet, sans doute pour répondre aux légitimes curiosités d’une aristocratie insatisfaite par le conformisme officieux de la Gazette, peut-être aussi pour les bénéfices financiers retirés de leur distribution par les Postes royales, a toléré la diffusion de journaux étrangers, même pendant les périodes de guerre. Il est vrai que l’importance économique du marché français pour les éditeurs de ces «gazettes de Hollande», les incitait à modérer l’expression de leurs critiques. Ces feuilles fournissaient sur la politique intérieure de la France des nouvelles que l’on ne trouvait pas dans la Gazette toujours très discrète sur les événements de la Cour et du Royaume. Curieusement ce double système d’information peut rappeler celui que la France a connu de 1940 à 1982 lorsque l’audience radiophonique se partageait entre les stations relevant du monopole public et les stations commerciales périphériques, installées hors des frontières de l’hexagone.

IV L’effritement du système (1750 - 1789)

La mutation du système de presse français lors de la Révolution a été en réalité amorcée dès le milieu du XVIIIe siècle, à la fin du règne de Louis XV. Cette période marque aussi la fin de la presse en bois puisque c’est en 1771 que Firmin-Ambroise Didot imagina la presse avec platine en métal, en 1772 que Haas proposa à Bâle sa presse en partie métallique et en 1783 que Anisson présenta sa presse à un coup... en attendant la presse entièrement en métal de Lord Stanhope en 1790. Il paraît cependant indispensable de présenter ici les facteurs et les étapes principales de cette évolution, en conclusion de ce rapide survol des débuts de la presse française.

En 1749, le privilège de la Gazette puis celui des Bureaux d’adresse furent cédés par les descendants de Renaudot: après bien des avatars ces privilèges échurent à des hommes d’affaires qui mirent en 1751 un terme aux contrats avec les imprimeurs de province: les réimpressions de la Gazette cessèrent donc. Quant au monopole des annonces il fut alors réaménagé et concédé par morceau à des éditeurs de province. C’est alors que se créèrent en province les premiers véritables journaux autonomes sous le noms d’affiches, annonces et avis divers dont le modèle fut emprunté non pas à l’éphémère Feuille des Bureau d’adresse dont on avait vainement tenté de réanimer à plusieurs reprises, mais aux Intelligenzblätter du monde germanique; nées à Vienne en 1703 elles prolifèrent en Allemagne à partir de Francfort-sur-le-Main en 1722. Sans compter celle de Strasbourg en 1631, la première naquit à Lyon en 1750 ; on en comptait 47 en 1788. Outre les annonces, la plupart contenaient aussi des articles; pour la première fois la province disposait de véritables journaux locaux : le monopole parisien était brisé.

L’abandon des éditions provinciales de la Gazette et du Mercure de France s’explique aussi, en grande partie, par la réforme profonde du système postal intervenu en 1751. Le tarif du port des gazettes par la poste fut unifié pour tout le territoire du royaume quelle que soit la distance et considérablement réduit: les journaux circulaient donc désormais franco de port moyennant le versement par l’éditeur à la Ferme générale des Postes d’une somme forfaitaire. Cette réduction du coût de transport des abonnements en province rendait en effet peu intéressant le système des réimpressions qui avait été crée justement pour réduire les frais de poste. Ce système qui fut aussi appliqué aux gazettes étrangères en 1762 (7) entraîna une nette augmentation du marché des journaux.

Un des signes les plus évidents des changements intervenus dans la presse fut la parution en 1777 du premier quotidien français , le Journal de Paris: ici aussi la France était en retard puisque les premiers quotidiens étaient parus à Leipzig en 1660 et à Londres en 1702.

En 1778 le privilège du Mercure de France fut affermé par les Affaires étrangères à Panckoucke, éditeur célèbre et premier grand entrepreneur de journaux en France; il prit aussi à ferme la Gazette de France (8) en 1786 et il l’intégra à son groupe de presse aux structures fort complexes puisqu’il comprenait aussi des journaux étrangers.

A la veille de la Révolution, en 1785-88, il paraissait en France quelque 80 périodiques d’information. Pour 1780 M. FEYEL estime que l’ensemble de ces journaux tiraient par numéro à environ 56.000 exemplaires dont 12.000 pour la Gazette de France, 6.000 pour le Mercure de France, 19.200 pour les Affiches parisiennes et provinciales, 5.000 pour le Journal de Paris... et que quelque 14.000 exemplaires de gazettes étrangères pénétraient dans le royaume: ces journaux pouvaient toucher quelque 40.000 lecteurs. Ainsi se mesurent les progrès de la presse en un siècle et demi depuis les 500 exemplaires de l’unique gazette en 1631 et ses quelque 3.000 lecteurs. La formidable croissance du marché de la presse en 1789 s’explique donc, aussi, par l’existence de cette très abondante clientèle potentielle.

NOTES

  1. Paris, PUF, 1969, 634 p. Louis TRENARD y a rédigé la partie sur l’Ancien Régime.

  2. FEYEL (Gilles), La Gazette en province à travers ses reproductions (1631-1752),Amsterdam Holland University Press, 1982, 452 p.

    L’Annonce et la nouvelle. La presse d’information française sous l’Ancien Régime, Oxford, Fondation Voltaire, 1997, 2 volumes.

    Le journalisme d’Ancien Régime, Lyon, PUL, 1982, 414 p.

    RETAT (Pierre) et al. , Les gazettes européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1992, 350 p.

    Le journalisme d’Ancien Régime, Lyon, PUL, 1982, 414 p.

    SGARD (Jean) et al., Dictionnaire des journaux (1600 - 1789), Paris, Editions Universitaires, 1981, 2 volumes

  3. SEGUIN (Jean-Pierre) , L’Information en France de Louis XII à Henri II, Genève, Droz, 1961, 134 p.

    L’information en France avant le périodique, Paris, Maisonnneuve et Laroze, 1964, 132 p.

  4. DAHL (Folk), PETITBON (Fanny) et BOULET (Marguerite), Les Débuts de la presse en France. Nouveaux aperçus, Paris - Göteborg, 1951, 76 p.
    On a depuis pu contester l’antériorité des Nouvelles ordinaires par rapport à la Gazette : le premier exemplaire connu de sa collection est daté du 17 juillet 1631; il porte certes le n° 27 mais les numéros antérieurs dont le premier devait donc dater du 16 janvier n’étaient peut-être que de simples nouvelles à la main, manuscrites. La Gazette, elle, commença sa longue carrière de 285 ans le 30 mai 1631.

  5. Le volume annuel des gazettes de 1634 comporte 596 pages; celui de 1647, 1.290 (dont 636 d’extraordinaires); celui de 1650, 1.720 pages (1.056); celui de 1662, 1.200 pages (536).

  6. C’est déjà, mutatis mutandis, le procédé moderne du fac-similé qui permet aujourd’hui de multiplier les lieux d’impression des quotidiens nationaux en province ou à l’étranger.

  7. Le Courrier d’Avignon, gazette étrangère, avait déjà obtenu, en 1740, moyennant le paiement forfaitaire d’une rente à la Ferme générale un tarif plus avantageux et unifié pour tout le royaume.

  8. Elle prit ce titre en 1762 en passant sous le contrôle officiel des Affaires Etrangères.